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gares germanisés se sont hâtés de nous devancer. Leur offensive est moins une offensive militaire qu’une offensive politique. Ce n’est pas contre nous seuls, ni même contre nous les premiers, qu’elle est dirigée de Sofia, de Vienne ou de Berlin. Militairement, sur un tel front de 250 kilomètres, d’après ce qu’on sait de leurs forces, et du secours que leurs complices leur peuvent donner, ils sont incapables de la soutenir. Mais, politiquement, il pouvait être fâcheux, dans l’état de balance où se trouvaient encore certains États de la Péninsule, de laisser à nos adversaires même l’apparence de l’initiative, qui est un signe de confiance, si ce n’est un geste de défi. Pour eux en effet, pour eux tous, ce n’est plus, à des degrés différens, qu’une apparence. Mais l’apparence même, il faut la leur ôter quand on le peut, tout signe de force étant encore une force et toute apparence, en politique, pouvant engendrer des réalités. Quoi qu’il en soit, nous avons dit où nous en sommes, et nous disons, non moins sincèrement, non moins honnêtement, où ils en sont. Nous n’en sommes pas à la victoire, ils n’en sont pas à la débâcle ; mais nous avons mis le pied dans le chemin de l’une, et ils ont mis le pied dans le chemin de l’autre. Nous remontons la pente, et ils la descendent.

Aussi faisons-nous de petits pas et feront-ils bientôt de grandes enjambées. Nous en sommes à l’heure où les peuples hésitans viennent à nous ou se rapprochent ; ils en sont à l’heure où ceux qu’ils veulent détourner de nous ne reçoivent plus leurs ambassadeurs extraordinaires ; et cette heure-là, depuis qu’il y a une histoire de l’humanité et tant que les hommes seront les hommes, sans rabaisser ni avilir les sentimens de personne, c’est celle que marque au cadran du Destin l’aiguille de la Fortune. L’heure qui va sonner va donc sonner pour nous. Où en sont les Empires du Centre ? Ils en sont à appeler à leur aide, sur leur propre territoire, les Turcs qu’ils en ont repoussés par les armes pendant des siècles, et qui n’étaient jamais allés à Vienne qu’en ennemis ou en prisonniers. Ce n’est pas la première fois pourtant que la Prusse songe à les implorer, et l’on connaît l’apostrophe suppliante du grand Frédéric au Sultan (dans laquelle nous ferons, comme il convient, la part de la fiction et de la littérature) : « Réveillez-vous, Sublime Hautesse ! Généreux comme vous l’êtes, vous ne verrez pas avec indifférence un pauvre prince attaqué par toutes les puissances de l’Europe. Mes ennemis font courir le bruit que j’aime la guerre. Sublime Hautesse, ne le croyez pas, cela est faux, on m’a forcé à la guerre, et à brûler ; je me défends comme je puis, je succombe si vous ne venez pas à mon