Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 34.djvu/947

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

envahisseur ! « La nuit suivante, nous dit M. Liddell, fut une des plus lugubres de ma vie, une de celles que je voudrais le moins avoir à revivre. On nous avait permis, cependant, de nous coucher sous la tente, mais avec défense de nous dévêtir. » Après quoi la nuit du 15 au 16 juillet fut, au contraire, très calme, et de nouveau l’on put croire tout danger écarté. Mais voici que, le lendemain vers midi, arriva décidément l’ordre d’évacuer l’ambulance ! « Cette fois, nul moyen de songer à une fausse alerte. Sans le moindre doute, l’ennemi approchait. Et, de fait, le même soir, la plus grosse partie de l’infanterie de notre division passa sur la route, en face de notre camp, pareille à un cortège sans fin de noirs fantômes, parmi les ténèbres. C’était la grande retraite qui avait commencé ! »


Sur tout le chemin jusqu’à Varsovie, l’écrivain anglais fut témoin d’un spectacle navrant, mais combien curieux et combien mémorable ! De toute la région à l’Ouest de Varsovie, d’innombrables milliers d’habitans polonais fuyaient l’invasion d’une race de brigands. Plutôt que d’affronter ces hordes féroces, dont ils connaissaient trop la haine et le mépris pour tout ce qui est slave, ils avaient quitté leurs demeures et s’en allaient devant soi, ils ne savaient où, emportant dans leurs bras ce qu’ils avaient de plus cher au monde. « Je vis notamment, nous raconte l’écrivain anglais, une femme qui n’avait pris avec soi qu’un grand balai et un petit panier. Un vieillard endimanché tenait dans une main la masse extravagante d’un parapluie d’il y a cent ans, et dans l’autre une cage avec deux canaris. Nombre d’enfans portaient de la volaille vivante, soit dans des paniers ou suspendue à leur bras, les jambes liées. Un petit garçon se traînait péniblement avec un ample berceau de bois sur ses épaules. Mais ce qui m’étonnait le plus était d’observer combien de femmes emportaient seulement des fleurs ou des plantes dans un pot de terre. Peut-être ces pauvres femmes avaient-elles l’idée de sauver là, du moins, un peu de la terre qui entourait leur maison natale ? »

A Varsovie, après un séjour de moins d’une semaine, M. Liddell est monté, le matin du jeudi 5 août, dans l’avant-dernier train russe qui a pu librement s’éloigner de la capitale polonaise, tandis que déjà une grosse partie de celle-ci était occupée par les troupes prussiennes. Le train suivant, le dernier, contenait les officiers et soldats du génie qui allaient faire sauter les ponts de la ville, et retarder ainsi la poursuite allemande. Sans arrêt maintenant, jusqu’à la fin du livre, l’écrivain anglais nous décrira les scènes les plus "notables de cette