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les aider dans leur tâche. En compagnie de l’un d’eux, M. Liddell revint à dix reprises prendre des blessés ; et, pendant ce temps, plus de vingt obus tombèrent à côté d’eux. Dès la nuit, toutes les tentes se trouvaient dressées dans un autre endroit, jusqu’au jour où, de nouveau, instruits par leurs espions, les Allemands recommenceraient leur odieuse besogne !


Car, sans aucun doute possible, c’est par des espions qu’ils avaient été renseignés sur le lieu de l’ambulance. Chaque jour, M. Liddell entendait parler d’espions déguisés en paysans, ou bien en officiers de régimens russes. L’audace de ces gaillards était incroyable. « Deux d’entre eux avaient hardiment installé un téléphone entre les lignes allemandes et l’arrière du front russe. J’ajouterai que ceux-là ont été pris, et que les Russes, lorsqu’ils arrivaient à s’emparer d’un espion, ne craignaient pas de le traiter de la bonne manière. Une autre fois, un espion costumé en paysan a été arrêté tout près de notre camp, tandis qu’il envoyait des signaux lumineux à l’ennemi, par une nuit sans lune. Une autre fois encore, un espion portant l’uniforme du 3e corps d’aviateurs dînait tranquillement dans la grande salle de l’Hôtel de l’Europe, à Varsovie, lorsqu’il y vit entrer deux véritables officiers de ce corps. Non moins tranquillement, l’espion se lève, et soit de la salle. Les officiers le suivent, le voient monter dans une somptueuse voiture automobile, sautent dans une autre voiture, et parviennent enfin à empoigner l’espion, — qui ne risquera plus, désormais, de dénoncer personne. »


Jusque vers le milieu de juillet, — où allait s’ouvrir la « grande retraite, » — M. Liddell est resté dans cette ambulance de la forêt de Staro-Radziwillow dont il ne se lasse point de nous décrire l’existence journalière, mêlée de travail et de poésie. Qu’on bise, par exemple, cette peinture d’un service funèbre, — où d’ailleurs l’écrivain anglais s’avise, je ne sais trop pourquoi, de « découvrir quelque chose d’étrange et de barbare[1] : »


Pour chacun de ces services, le prêtre avait coutume d’arriver à cheval, escorté d’un soldat. Les deux chevaux étaient attachés à la clôture de bois qui entourait le cimetière ; le prêtre se dépouillait de son manteau, et apparaissait vêtu d’une robe pourpre, avec une lourde croix d’argent

  1. Il est vrai que M. Liddell « découvre » aussi « quelque chose de chinois » dans l’exquise politesse native du paysan russe, qui le porte à traiter un officier étranger de : « Votre Noblesse ! »