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leurs exploits, et souvent même ils les cachent. « Madame, dit l’un d’eux, on n’aime point avoir l’air de se vanter. » — « Il y en a tant à récompenser, qui en ont fait davantage ! » dit un autre qu’on félicite de sa croix de guerre. Et ils sont aussi d’une délicatesse exquise. Quand l’un d’eux va plus mal, ils sont touchans de discrétion, de sollicitude apitoyée. Et au contraire, quand un de leurs camarade entre en convalescence, ils accompagnent ses premiers pas d’une sympathie émue et prévenante que l’autre leur rendra en fines attentions, en encouragemens persuasifs, en consolations efficaces. Les soins que leur prodiguent de douces mains féminines, ils les payent en menus témoignages de gratitude attendrie. « On vous donne bien du mal, madame, » est un mot qui revient souvent dans leurs propos. Et si discrets, si timides même, si peu exigeans ! « Ici, on est au paradis ! » disent-ils, contens, malgré leurs souffrances, de ne plus être « là-bas, » de jouir d’une sorte de « trêve heureuse. » « Ils ont coutume, écrit Mme Noëlle Roger, de nous donner plus que nous ne leur donnons. Quelle nuance de respect délicat, presque filial, dans l’affection qu’ils nous témoignent ! » Et elle conte un trait qui en dit long sur la qualité d’âme de ces simples. Une de ses amies, veuve, avait accueilli chez elle une douzaine de soldats convalescens. Un soir, au retour d’une de leurs sorties, elle apprend qu’ils ont longé le cimetière, et elle ajoute comme involontairement : « C’est dans ce cimetière que mon mari est enterré. » « Alors l’un d’eux répondit : — Oh ! nous le savions bien, madame… Et nous sommes allés sur sa tombe pour le remercier… Après tout ce que vous avez fait pour nous, nous tenions à aller le saluer. » Elle fut bouleversée. L’acte de ces soldats, quel hommage adorable à celui qu’elle aimait ! Elle murmurait : « Non, personne ne m’avait donné cela, avant eux… » — Citons encore cet autre trait qui fera peut-être concevoir à quelques Allemands la différence de nos âmes. Dans une reconnaissance, une patrouille française rencontre quatre Allemands grièvement blessés, sans nourriture. Les Français s’arrêtent, donnent leurs provisions. Trois blessés se raniment, mangent et boivent avec avidité. Le quatrième fait signe qu’on ne peut plus rien pour lui. Alors « le plus jeune Français, un soldat de vingt ans, tout triste de ne pouvoir rien lui donner, se rapproche doucement, s’agenouille, et met un baiser sur le front mouillé du soldat ennemi. Le contact de la joue imberbe,