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alors, dans la stupeur générale, dans le lourd silence apitoyé, une voix s’élève. C’est l’abbé, à genoux, dans sa blouse d’infirmier, qui récite les prières des agonisans : « Sortez de ce monde, âme chrétienne, au nom de Dieu le père tout-puissant qui vous a créée… » Lisez, dans les Carnets d’une infirmière, ces deux admirables pages : « Vous toutes les mères, qui pleurez, ne sentez-vous pas autour de vous cette compassion infinie ? Elle monte à vous de toutes les villes et de toutes les campagnes, de tous les cœurs qui pensent avec douleur et reconnaissance à celles qui ont donné leurs fils… Tous les jours qui commencent et tous les jours qui s’achèvent vous apportent, dans votre chambre, cette compassion respectueuse et tendre, cette universelle compassion humaine ; elle vous enveloppe silencieusement et peuple votre solitude… » Mais cette compassion ne doit pas être le facile, l’éphémère émoi d’une sensibilité oublieuse ; elle doit vivre à jamais en nos cœurs et se traduire en actes de pitié fraternelle. De tous ces jeunes gens qui sont morts pour que la France vive, de ceux qui nous les ont donnés, nous sommes, nous, les survivans, les éternels débiteurs. S’ils n’avaient pas versé pour nous le plus pur de leur sang, nous n’aurions plus de patrie. Les heures lumineuses de notre vie seront désormais faites de leurs souffrances. Sachons nous souvenir et payer nos dettes. Si de cette guerre infernale le lien social ne devait pas sortir plus intime et plus fort, ce serait à désespérer de la race humaine.

En dépit des visions de douleur et de mort qu’a fixées pour nous Mme Noëlle Roger, ce n’est pas la désespérance qui se dégage de son livre. C’est bien plutôt comme un parfum d’héroïsme. Elle a conscience d’avoir vécu parmi des héros, et elle s’exalte à nous conter leurs « gestes. » C’est d’abord le radieux souvenir de la victoire de la Marne. Epuisés, démoralisés, n’en pouvant plus, battant en retraite, brusquement on leur jette l’ordre de s’arrêter, de faire front ; et, joyeux, ils oublient tout, privations et fatigues, et ils courent à la mort comme à une fête. « Toute leur vie, ils garderont cette vision merveilleuse : les hommes las, tristes, se dressant tout à coup, transfigurés parce qu’on leur permettait de tenir, consciens de sauver le pays, enthousiasmés de mourir afin de refouler l’envahisseur. » Et l’on ne compte plus leurs traits de bravoure. « Eh bien ! oui, j’ai fait mon devoir, s’écrie l’un d’eux, qui va mourir de sa blessure.