Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 34.djvu/921

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

M. Vallotton a pieusement recueilli de la bouche d’un simple sergent français : « Car enfin, nous, on lutte pour la cause de la liberté, de la gentillesse dans le monde. » Vraiment, plus j’y songe, et plus il me semble que l’âme tout entière de la France d’aujourd’hui est dans ce délicieux mot-là.


Ce n’est pas quitter nos soldats que de nous asseoir, avec Mme Noëlle Roger, à leur chevet d’hôpital. La vie, — la vie active, insouciante et saine, — trompe souvent sur la qualité des âmes ; la douleur et la mort ne trompent jamais. Elles sont la suprême expérience, l’épreuve décisive, la pierre de touche par excellence. Et il faut dire qu’à cet égard, rien n’est plus réconfortant, si rien n’est plus douloureux, que la lecture des Carnets d’une infirmière.

Ah ! oui, certes, elle est douloureuse, cette lecture, si douloureuse même que, parfois, on laisse là le livre pour échapper à l’obsession de tout ce sang répandu, de ces hideuses blessures, de toute cette souffrance et de tous ces deuils. On y revient pourtant, et il faut y revenir, pour pouvoir maudire, en pleine connaissance de cause, les auteurs responsables de pareilles boucheries, et, surtout, pour bien sentir toute l’étendue de notre dette envers ceux qui se sont si simplement sacrifiés pour nous. Parmi toutes les scènes émouvantes ou tragiques dont Mme Noëlle Roger a été le témoin, ou la confidente, il en est deux qui symbolisent avec une force extraordinaire la double leçon qui se dégage de cette affreuse guerre. Dans la première, elle nous représente un malheureux père qui arrive trop tard pour revoir son fils. « Alors, dans la chapelle mortuaire, droit, immobile, il eut un grand sanglot qu’il refoula. Puis, ses deux poings serrés, les ongles entrant dans sa chair, il cria, les yeux fixés sur le cercueil, il cria le nom de celui qui aurait pu empêcher la guerre, et qui l’avait voulue : Ah ! Guillaume… Guillaume !… Et cette protestation déchirante de ce vieil homme tout gris, tomba comme le plus effroyable des reproches. » — Une autre fois, on a transporté dans la salle d’opérations un pauvre petit soldat, Georges Laurent, au mince visage blanc, au regard douloureux et absorbé. L’opération commence. Tout à coup, on s’aperçoit que « la petite figure blanche, immobile, ne respirait plus. » On essaie de le ranimer. Vains efforts : tout est fini. Et