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d’un spectacle auquel il ne s’attendait guère : « C’est le vignoble le plus célèbre du monde. Et malgré la guerre on n’en laissera pas perdre la récolte. Des vendangeurs et des vendangeuses, accroupis entre les ceps, coupent les grappes… Sous le soleil, dans cette claire matinée d’automne, la vendange s’accomplit en silence, à deux pas des batteries, sous le canon… » Et, pareillement, les atrocités allemandes ne nous ont point, par contagion, rendus cruels. Les prisonniers, les blessés allemands, — les témoignages recueillis sont unanimes là-dessus, — sont, à tous égards, fort bien traités, « avec une bonté, — écrit M. Chavannes, — je dirais même une affabilité (bien que strictement), qui a encore plus de prix. » Un prisonnier écrit aux siens : « Remerciez Dieu qu’il m’est permis de voir un si joli morceau de terre. » Et un autre : « Je vis en France tel Monsieur le bon Dieu. » Et il leur arrive de perdre les grossiers préjugés qu’on leur a inculqués contre nous. M. Chavannes conte qu’un blessé, qu’il n’interrogeait pas, se mêla à la conversation pour dire : « Les Français, ce sont des catholiques ! » Et insistant : « Ce sont des catholiques, des vrais catholiques ! » « Il disait le mot avec une force sourde, profonde, comme une protestation têtue et passionnée contre quelqu’un, et j’ai compris qu’on avait dû lui dire que les Français étaient tous des impies. » Hélas ! nous savons trop, et de source trop sûre, que si M. Chavannes et ses confrères avaient voyagé en Allemagne, et avaient pu interroger librement nos prisonniers et nos blessés, ils n’en auraient point rapporté des impressions aussi optimistes[1].

Ils ont tous trois visité Reims : la ville martyre, comme il est trop naturel, attirait leur curiosité et leur sympathie. Ils nous ont conté les étapes de son calvaire : premier bombardement, le 4 septembre, — « un malheur dû à une malheureuse [sic] hasard, » comme ils disent, les Boches, avec leur habituelle hypocrisie, — pour terroriser, en dépit des engagemens les plus formels, une ville qu’ils savaient ouverte et désarmée ; soixante civils massacrés ; puis occupation paisible, et enfin la retraite, accompagnée de sinistres menaces, et souillée des coutumières ordures. Et le 19 septembre, six jours après l’entrée des troupes

  1. Voyez, entre autres témoignages écrasans, celui de l’abbé Augustin Aubry, prêtre du diocèse de Beauvais, Ma captivité en Allemagne. Lettre-Préface de Mgr Baudrillart, 1 vol. in-16 ; Paris, Perrin.