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claire révélation de la discipline et de la sympathie françaises.

Deux traits entre tous semblent avoir frappé ces divers témoins de notre France. Le premier est « une sorte de camaraderie générale, » une familiarité, une chaleur de fraternité qui rapproche les gens de toutes les classes dans « la communauté d’un immense intérêt. » La grande famille française a pris d’elle-même une conscience qu’elle ne perdra plus ; jamais le sentiment de la patrie commune n’a été chez nous plus fort et plus vivace que depuis dix-huit mois, et le cas, — qui n’est point isolé, — d’un homme comme M. Gustave Hervé est, à cet égard, singulièrement significatif. Chacun sent, par toutes les fibres de son être, qu’il est une infime partie d’un tout, qu’il y a quelque chose qui le dépasse, et à quoi il a le devoir de sacrifier, s’il le faut, sa personne éphémère ; et cette idée, ce sentiment, presque cette sensation a fait régner dans le pays qui passait pour le plus divisé de l’Europe une « union sacrée » sans précédent, et dont les heureux effets, selon toute vraisemblance, survivront même à la guerre. — Un autre trait, c’est l’esprit de décision que l’on constate partout, à tous les degrés de l’échelle sociale, et qui « bien loin de faiblir, augmente de jour en jour. » « Personne en France ne voulait la guerre[1]. » On l’a accueillie avec gravité, mais avec « un grand serrement de cœur, un universel regret. » « Soit que les instincts belliqueux de la race lentement se réveillent, soit que le sentiment de la menace se fasse plus fortement sentir, bien loin qu’on voie les marques de quelque lassitude, la passion guerrière va croissant. Le caractère même que l’Allemagne imprime à cette guerre, — et on en pensera ce qu’on voudra, mais on ne saurait le nier après tant de faits qui vont tous dans le même sens, — ce caractère de violence, d’extermination, comme s’ils voulaient faire la place nette pour y mettre autre chose, d’autres gens, d’autres villes, d’autres cathédrales, « plus grandes et plus belles, » ce

  1. Que la France n’ait pas voulu la guerre, c’est une vérité qui est aujourd’hui admise, non seulement chez les neutres, mais même en Allemagne, tout au moins parmi les esprits un peu cultivés et informés. A ceux qui hésiteraient encore, on peut dédier un mot, — dont je puis garantir l’absolue authenticité, si je n’en puis révéler ou trahir la source, — de l’ambassadeur d’Allemagne, M. de Schœn en personne. C’était au moment de son départ de Paris. On lui parlait du tragique conflit qui venait d’éclater. « Personne, dit-il, ne m’empêchera de dire la vérité. Et la vérité, c’est que le gouvernement français non seulement a fait tout le possible pour éviter la guerre, mais qu’il a même fait l’impossible. »