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c’est toute la nation, il se fait de l’arrière au front une circulation ininterrompue, un échange perpétuel de sentimens, d’idées et de préoccupations par où s’effacent, ou tout au moins s’atténuent les divergences que, parfois, l’on a pu constater entre la population civile et les soldats. L’état d’esprit qui règne dans l’armée, c’est en somme, avec les nuances que comporte la vie de discipline et d’action, celui qui domine chez ceux qui sont restés au foyer, et pour bien comprendre l’un, il n’est pas mauvais d’observer l’autre.

Les journalistes suisses que nous étudions, comme il était naturel, ne se sont pas attardés dans la France de l’arrière ; c’est le front surtout qui les attirait, les villages bombardés, les champs de bataille encore fumans ; bref, ce qu’ils venaient chercher et recueillir, c’étaient, par-dessus tout, des « visions de guerre. » Pourtant, ils ont tous, plus ou moins rapidement, traversé Paris, et même la province. L’un a poussé jusqu’à Bordeaux, et jusqu’à la Méditerranée. Et ils notent sobrement, simplement ce qu’ils voient : scènes de mobilisation, comme nous en avons tant vu, départs de convois militaires, trains de blessés ou de malades. Çà et là des notations plus rares, et qui méritent d’être relevées. Voici, dans une petite gare du Midi, « un vieux à barbiche Napoléon III qui s’est fait amener dans un fauteuil roulant, et qui regarde les vengeurs de 70. » A Avignon, s’exerce un régiment étranger. Espagnols, Suédois, Polonais, Turcs, Italiens, Grecs, toutes les nationalités, sauf l’allemande, y sont représentées. Pour la plupart ouvriers ou employés qui étaient en France au moment de la déclaration de guerre, ils se sont engagés pour nous prouver leur sympathie et nous payer leur dette d’hospitalité. D’autres sont venus de bien loin, de Smyrne, de Beyrouth. Ils sont contens de servir, contens du sergent qui les exerce. Au repos, ils se groupent librement entre eux. Et M. Chavannes admire beaucoup cette liberté dans la règle qui lui parait caractériser l’art français, le génie français héritier du génie romain, et qui fait non seulement les beaux palais et les beaux tableaux, mais aussi les belles armées et les vastes empires. Et il admire non moins vivement cette « attraction que la France exerce dans le monde, » « ce vaste empire colonial presque dégarni en ce moment et où personne ne bouge, d’où viennent au contraire tant de troupes, brunes ou noires. » En un mot, il a eu là la