Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 34.djvu/893

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

allemande, hantait tous les cerveaux de l’autre côté de l’Atlantique, Un sous-marin, un submersible de grande taille, pouvait donc le plus simplement du monde franchir 3 600 milles marins et, sans crier gare, — qu’on me passe le mot, — émerger au beau milieu d’une rade américaine !…

Ce n’était pas que les navires de plongée n’eussent déjà fait de très longues traversées, ni même qu’ils ne fussent passés d’un continent à l’autre, puisque des sous-marins construits au Canada étaient arrivés sans encombre en Angleterre. Mais il s’agissait de traversées fréquemment coupées par des escales, facilitées en tout cas par des ravitaillemens clandestins ; et quant aux submersibles du Dominion, on savait qu’ils avaient été soigneusement convoyés dans ce voyage d’Amérique en Europe, beaucoup plus facile, tous les marins le disent, que celui d’Europe en Amérique. La difficulté vaincue dans le cas du Deutschland apparaissait donc grande et d’autant plus grands les mérites du bateau aussi bien que ceux de son personnel. Excellent effet moral à l’actif de l’Allemagne !

Au fond, pour être réelle, cette difficulté n’appartenait aucunement à l’ordre de celles que l’on considère, a priori, comme insurmontables, — sauf à les surmonter à force de patience, de volonté, d’ingéniosité, puisque aussi bien l’homme finit par venir à bout de tout ce qu’il entreprend.

D’abord, les escales qui reposent et ravitaillent étaient possibles, malgré l’apparence, à condition que l’on consentît à s’écarter sensiblement de la route directe, de la route la plus courte (qui n’est d’ailleurs pas la ligne droite, tracée sur une mappemonde, du point de départ, en Europe, au point d’arrivée, en Amérique). En été, — et c’est le cas, — on pouvait adopter un trajet jalonné par les Féroë, l’Islande et le Sud du Groenland, toutes terres danoises, neutres, où l’on avait licence de séjourner au moins vingt-quatre heures, si l’on était considéré comme navire de guerre et tant qu’on le voulait si l’on passait pour navire de commerce. Il restait à la vérité, du cap Farewell aux premières eaux américaines, un vaste espace de mers fort dures, dangereuses quelquefois, à cause des icebergs. Mais des Allemands ne pouvaient être embarrassés pour se procurer abri et combustible liquide dans une base écartée du Labrador, dans une crique à peu près déserte du New-foundland. On sait assez quelles complicités ils savent se ménager partout, et que,