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… Celle-ci est notre veillée d’armes. Le soleil décline entre les cieux et les tombes. Entendrons-nous a l’aube sonner le clairon ? Verrons-nous à l’aube le héros se lever ?… Souviens-toi, mon âme, et attends… Il viendra en silence vainquant la mort, le héros nécessaire… Rappelle-toi et attends, l’our nous brille, dans le futur entrevu, un bien qui, pour se révéler, veut le martyre d’un nouveau Christ…


Il est, lui, d’Annunzio, celui qui annonce. Il sera, lui, d’Annunzio, le disciple de ce Christ auquel, avant de mourir, il voudrait un moment ressembler : il sera son « signe. » Et il est transfiguré. Une puissance occulte le hausse vers la lutte héroïque. Tout homme armé est son frère : « il cherche le fer et le feu qui tuent ; le paradis est à l’ombre des épées. »


Il y a quatorze mois, à l’heure où l’Italie, devenue notre alliée, est entrée en lutte à côté de l’entente contre les Puissances germaniques, elle avait elle aussi un martyre à venger.

Malgré son magnifique « risorgimento, » malgré sa jeune puissance constituée fortement, malgré sa longue alliance forcée avec l’ennemi héréditaire, l’Italie moderne n’avait jamais pu oublier le demi-siècle pendant lequel l’atroce monarchie des Habsbourg, bourreau haineux, avait traité, avec la plus lâche brutalité un peuple dont le crime était de vouloir l’unité nationale.

D’autre part, ni la rébellion des « muratiens, » ni l’élection du pape Pie IX, ni le génie héroïque d’un Daniel Manin, ni la collaboration magnifique d’un Cavour, d’un Victor-Emmanuel et d’un Garibaldi, pas même Magenta, pas même Solférino, n’avaient pu rendre à l’Italie, mutilée et frémissante, ni Trente, ni Trieste, ni l’Istrie.

Or, pour les cœurs italiens, l’Istrie, Trieste et Trente sont ce que, pour nos cœurs français, est l’Alsace-Lorraine. De même, pour la sûreté des frontières italiennes, contre l’invasion, Trente et Trieste, sont ce que Metz et Strasbourg représentent pour les nôtres. S’il nous faut les rives gauches du Rhin, il faut à l’Italie les crêtes des Alpes, de la Suisse à la Carniole ; la côte orientale, de l’Adriatique jusqu’au Monténégro. L’horrible besogne de dénationalisation, de viol moral que, depuis quarante-cinq années, l’Allemagne fait supporter à notre Alsace, l’Autriche en fait subir depuis quarante ans, avec cynisme, l’outrage, aux provinces qu’elle a ravies à son « alliée » l’Italie.