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« Un dernier détail : vous avez pu lire dans les journaux que la société des Francs-Maçons devait faire une grande démonstration. Dans quel sens ? Les uns prétendaient qu’il s’agissait d’adhérer à la Commune ; les autres n’y voyaient qu’une démarche pacifique. Ce qu’il y a de certain, c’est que les loges ont déclaré que le fait des individus n’engageait pas la société. J’ai assisté au défilé. Ce spectacle en tout autre temps eût paru curieux. Le cortège touchait déjà au Cirque, lorsque les dernières députations n’avaient pas dépassé la tour Saint-Jacques. De la Bastille, on voyait la tête et la queue ; jamais vos processions n’ont eu autant de bannières ; les hommes appartenant à toutes les conditions avaient fort bonne tenue ; la foule regardait, avec grande curiosité, les rubans bleus, rouges des maçons, ainsi que les emblèmes dont ils étaient chamarrés. On prétend que la Commune s’était servie d’un certain nombre d’individus dont elle avait grossi le cortège des vraies loges. Je n’en sais rien. »

Le 3 mai, Aubert se décide brusquement à partir. Il n’y tient plus. Le courage ne manque pas, mais les forces. Et d’ailleurs il n’a plus d’élèves. M. Girard le comprend, l’approuve et ne le retient pas. Aubert parti, il sera seul, car aucun professeur ne reste, — seul avec un employé, et un vieux maître d’étude, M. Toussaint, que les élèves ne connaissaient que sous ce nom : le père Flan. — Il réunira ce qui reste d’enfans d’âges divers dans une salle unique : « Je ferai une étude, dit-il, avec l’économe et le père Toussaint[1]. »

En tout cas, il donnait à ces enfans-là une belle leçon de stoïcisme.


XIV

Aubert avait écrit à Angers : « Je pense pouvoir m’échapper quelques jours, quitte à revenir pour l’assaut. » — Il tint parole et il revint « pour l’assaut. »

Le 24 mai, il était de retour à Versailles et remuait ciel et terre pour être autorisé à rentrer dans Paris en feu. Tout d’abord il essaie, sans y réussir, de s’adjoindre à M. Taschereau, que le gouvernement envoyait dans Paris pour tâcher de sauver

  1. Un souvenir à ce vieux brave, trente-cinq ans surveillant à Louis-le-Grand : Toussaint (Jules-Auguste), ne à Toul en 1816, mort en 1874.