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qu’on leur fait faire ; un bataillon presque tout entier, celui de Ménilmontant, a été détruit il y a deux jours ; c’est une désolation dans ce quartier ; chaque jour amène de nouvelles victimes ; il faut compter par jour un à deux cents morts.

« Les mesures soudaines ou violentes se multiplient. Avant-hier, la Commune a fait arrêter Cluseret. Les uns disent qu’il a réussi à s’échapper ; les autres prétendent qu’on a pu mettre la main sur ce drôle. Des bruits très divers circulent ; on parle de trahison ; on parle d’orgies honteuses faites au ministère de la Guerre. En attendant, on enlève les jeunes gens dans leurs maisons, dans la rue, pour les conduire aux forts où ils sont gardés à vue ; ceux surtout qui avaient servi sont saisis et emmenés sans pitié ; il est vrai qu’on les nomme officiers, mais pour peu qu’ils bronchent, on tire dessus. Ah ! ils voulaient nommer leur général en chef ! Aujourd’hui, on ne leur permet même plus de nommer un caporal. Il faut voir les figures des chefs, colonels, commandans, officiers ; au coin d’un bois, rien qu’à les voir, on cacherait sa bourse et on chercherait un revolver. Non ! non ! jamais pareille humiliation n’aura été infligée à une ville ; la seule pensée d’une servitude aussi complète et aussi patiemment subie fait horreur.

« Ce qui frappe surtout, c’est que le retour à des idées sensées ne s’annonce pas comme prochain. Hier, sur les buttes Montmartre, j’entendais les conversations de toute cette foule ; à chaque décharge d’artillerie, on entendait : « Ah ! c’est nous qui tirons ! » et quand le coup semblait bien tiré, on applaudissait. Je me disais en moi-même : « Non ce n’est pas nous, c’est un tas de coquins qui a réussi à armer des fous. » Tant que nous ne serons pas revenus au sentiment de la loi, Paris ne pourra être gouverné que par la force. Je ne vous parle pas du vertige d’idées irréligieuses qui s’est emparé de Paris ; tous n’en sont pas atteints, mais outre un certain nombre de bourgeois, depuis les petits boutiquiers jusqu’aux derniers de la classe ouvrière. cette fureur a tout entraîné. On a fermé les églises, on a fermé les ouvroirs, les maisons de secours, les écoles de sœurs ; ce sont les femmes de gardes nationaux qui fonctionnent à 1 fr. 50 par jour. Vous imaginez ce que doit être un pareil enseignement. Défense d’y parler du nommé : Dieu. » (2 mai.)

Une seule diversion à ces tristes observations, le spectacle étrange du grand cortège des francs-maçons :