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défendre. » (22 mars.) — Il y eut, en effet, des tentatives de résistance, avec bravoure, mais sans direction. Aubert endossa son uniforme, négligé depuis deux mois.

« J’aurais voulu vous écrire hier, mais il m’a fallu endosser mon uniforme et passer la journée entière sous les armes. Grâce aux efforts d’honnêtes citoyens, nous nous sommes réunis dans notre quartier même, et nous avons occupé en force l’Ecole polytechnique. Le 21e et le 59e étaient massés là, au nombre de mille hommes environ. Vers cinq heures, deux bataillons dissidens ont demandé à se joindre à nous, et nous les avons accueillis. Notre quartier est désormais à l’abri d’un coup de main. A Saint-Germain-l’Auxerrois, treize bataillons du Comité central se sont présentés rue de Rivoli, en face du jardin ; imaginez un pêle-mêle de fous, de coquins et d’imbéciles. Ils ont braqué et chargé deux canons en face de nos amis qui n’ont pas bougé ; une heure après, de braves gens étaient intervenus. Le Comité central abandonné par sa troupe restait impuissant à engager le combat ; d’un commun accord, on convenait de faire les élections jeudi, dans les termes prescrits ou acceptés par l’Assemblée nationale ; c’était la proclamation de l’amiral Saisset qui avait enfin gain de cause. Le Comité maintient ses élections pour dimanche ; on le laissera s’agiter. Ils vont se dissolvant chaque jour. La question semble donc se résoudre ; la soirée a bien fini ; la matinée est bonne. Nous éviterons une bataille, mais quel métier ! » (25 mars.)

Ce beau mouvement tournait en désordre et confusion. « En quelques heures, revirement complet. Les élections qui pouvaient avoir lieu jeudi, avec assentiment de l’Assemblée, étaient maintenues à dimanche par ordre du Comité central. Bon nombre d’hommes d’ordre ont voulu tenir leur parole et se sont décidés à voter quand même, pour éviter l’effusion du sang. » Aubert n’en voulut rien faire : « Je me suis abstenu, décidé à me maintenir sur le terrain légal, d’accord avec l’Assemblée. D’ailleurs, ce n’est déjà plus un Conseil municipal que l’on prétend avoir élu, c’est une Assemblée commune. Toutes ces folies sont déplorables et honteuses. »

Après ces dérisoires élections, la tyrannie de l’émeute s’établit avec tous ses excès puérils et violens. Pendant les premiers jours, Aubert n’ose plus écrire, ou n’écrit que quelques mots, et recommande qu’on lui réponde seulement : « Nous allons bien, ou mal. »