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impatience un événement qui pouvait, en rompant l’équilibre, jusqu’ici trop exact, des deux plateaux de la balance, rapprocher la date de la fin de la guerre. Je ne prétendrai pas que l’une de ces Puissances, pourvue, elle aussi, d’une belle flotte, fût en droit de considérer comme un avantage d’une réelle valeur politique l’affaiblissement éventuel de la force navale anglaise après une grande bataille, même victorieuse. On l’a dit. On l’a écrit presque officiellement, et non sans quelque imprudence. Je crois avoir montré[1] ce que les craintes exprimées à ce sujet avaient d’irraisonné. Laissons donc cela de côté. La victoire, fût-elle chèrement payée, est toujours la meilleure des polices d’assurance contre les coalitions.


Quand deux armées modernes résolues à combattre marchent l’une contre l’autre, il est aisé de prévoir à peu de chose près où et quand se produira la rencontre. Elles ont un théâtre d’opérations nettement délimité et surtout des chemins, — voies ferrées ou routes carrossables, — tracés d’une manière invariable et au réseau desquels tous leurs mouvemens restent liés.

Il n’en va pas tout à fait de même pour les flottes. Les limites de leurs théâtres d’opérations sont généralement beaucoup plus élastiques, et à la mer tout est chemin. Ajoutons, — et ceci est capital, — que ces armées ont aujourd’hui une surprenante mobilité, une mobilité qui ne cesse de croître en même temps que la vitesse absolue des élémens qui les composent, alors que celle des armées de terre à effectifs considérables, alourdies par un énorme matériel, décroît de plus en plus, dans tous les cas du moins où la faiblesse relative des distances à parcourir supprime le bénéfice des transports par voies ferrées.

Allemands et Anglais eussent donc pu se chercher quelque temps sans en venir aux mains, si leurs bases, — leurs points de départ respectifs, par conséquent, — n’eussent été aussi rapprochées. Mais qu’est-ce que 400 ou 450 milles, au maximum, pour des escadres qui, en vue d’une opération de durée limitée, comme c’était le cas, peuvent parcourir 200 ou 225 milles en moins d’une demi-journée ?

  1. Revue des Deux Mondes du 15 février 1916 : « Le nouveau blocus, » page 855.