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les grandes luttes des peuples. Eh bien ! la guerre de 1914 aura-t-elle eu le même caractère de croisade que la guerre de 1877, la guerre sainte du slavisme pour la délivrance des frères opprimés ? C’est un des points que, pendant notre voyage, nous avons cherché à éclaircir.

Il est bien remarquable que le règne d’Alexandre II, rempli par tant de réformes généreuses à l’intérieur, ait été marqué à l’extérieur par une grande tentative pour réaliser le programme slavophile. L’affranchissement des paysans au dedans avait ainsi pour corollaire au dehors la libération des chrétiens encore soumis au joug des Turcs. Dans une certaine mesure et sous une forme nouvelle, ce parallélisme se sera revu de nos jours. Assoupi depuis les déceptions du congrès de Berlin, remplacé par l’attrait des conquêtes d’Extrême-Orient, le mouvement slave n’a repris de vigueur qu’à partir de 1905. Il a accompagné le renouveau libéral, suivi les premiers pas de la vie constitutionnelle. En même temps que la Douma, ont reparu les congrès du slavisme. On les a appelés « néo-slaves. » C’était une renaissance, en effet, à laquelle manquaient seulement peut-être les apôtres, les excitateurs et les poètes de l’école primitive, une renaissance qui n’aura trouvé ni un Kalkof ni un Ignatief. Plutôt qu’une doctrine, c’était une opinion diffuse qui s’exprimait par des désirs ou par des doléances, et non pas par un programme. Le gouvernement russe, profondément attaché à la paix, soucieux de ne pas troubler l’Europe, de ne soulever aucune cause de conflit, sachant surtout très bien que c’était par l’Orient que viendraient les complications redoutables, s’appliquait à apaiser les esprits, à atténuer les chocs. Il écartait les excitations, et, d’autre part, il s’abstenait de relever les provocations des deux Empires germaniques. Non seulement dans les comités slaves, mais dans la presse, dans le grand public, cette attitude n’était pas toujours approuvée ou, en tout cas, n’était pas comprise. Cette prudence paraissait de l’effacement. Plus d’une fois, la Douma a demandé que la Russie suivît, en Orient surtout, une politique plus résolue et plus active. En 1909, lorsque, pour éviter la guerre, le gouvernement russe, quoi qu’il lui en coûtât, reconnut l’annexion de la Bosnie, l’opinion publique fut certainement froissée dans une fibre profonde. Aurait-il été possible, en 1914, d’aller plus loin dans la voie des concessions, de laisser tomber le nouveau défi