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profanés. » Par-là, Saint-Serge est un lieu d’élection et de privilège, et c’est ce qui le désigne entre tous à la vénération des pèlerinages. Dans ce réduit national, les empereurs de Russie ont trouvé parfois un refuge, toujours une retraite pour la méditation. On voit, sur les remparts, les dalles qui marquaient la promenade de Pierre le Grand, et c’est là que le fondateur de la Russie moderne a médité son œuvre. A son tour, trois fois en trois années historiques, Nicolas II sera venu se recueillir, sera venu écouter « la voix de la terre russe » dans l’ermitage impérial qu’enferme Troïtsa : en 1912, après les cérémonies du centenaire de l’invasion napoléonienne, en 1913, pour le troisième centenaire de l’avènement des Romanof, — et enfin, au mois d’août 1914, quelques jours après la déclaration de guerre de l’Allemagne à la Russie.

Avec ses souvenirs, ses reliques, ses miracles, ses richesses, Troïtsa est un des points vitaux de la religion orthodoxe, un des lieux sacrés du patriotisme et de la foi russes. Quand on découvre l’amas de ses constructions multicolores, ses dômes et ses clochers inimitables, on serait tenté de se croire en face d’une ville chinoise. Quand on voit ses cloîtres et ses thébaïdes répandues aux solitudes d’alentour, on se trouve reporté à l’ascétisme des antiques églises d’Orient. Or, cette cité de moines, de théologiens et d’ermites est, en même temps, une grande cité industrielle. Qui croirait que, près de la châsse et des restes de Saint Serge, deux mille ouvriers travaillent pour la guerre ? Derrière les murs qui ont résisté aux Polonais et abrité Pierre le Grand contre les Strélitz en révolte, grâce aux richesses accumulées au cours des âges et qui, plus d’une fois, déjà, ont aidé à sauver l’Empire, on tourne aujourd’hui des obus qui serviront contre un envahisseur nouveau, contre l’envahisseur allemand. Serghiévo-Troïtsa remplit encore son rôle historique. Ainsi continuent de s’allier dans la guerre présente ces traditions nationales et ces traditions religieuses dont l’union fait comprendre ce que les Russes veulent dire quand ils parlent de la « Sainte Russie… »


La Sainte Russie a trouvé la Russie libérale à ses côtés dans la guerre, comme les « deux Frances » dont a parlé un jour un écrivain suisse, s’y sont rassemblées. Un fils de M. Milioukof,