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Déjà certains entrevoient le point de départ de ces luttes ; déjà nous le² voyons définir le tout prochain casus belli. Devant eux, un vaste plan s’étudie, à l’instigation d’un professeur d’Iéna, pour unifier toutes les Eglises évangéliques allemandes sous l’hégémonie de l’Empire[1]. Ils pressentent qu’une fois l’établissement évangélique dûment asservi, l’Empire se retournera vers l’établissement catholique pour le subordonner à son tour. Les aspirations du pouvoir civil à régner sur l’Eglise déchaînèrent le premier Kulturkampf ; il leur semble que derechef ces aspirations s’éveillent, déjà prêtes à en déchaîner un second.

Les catholiques auront donc à lutter, ils le savent. Pour conjurer l’orage, ils veulent avoir fait tous les sacrifices, même parfois celui de leur devoir. Ils sont fils et petits-fils, pourtant, de ces vainqueurs du Kulturkampf, qui n’immolèrent jamais au désir d’une paix factice l’esprit d’intégrité chrétienne.

Plus heureuse que les Eglises évangéliques, qui, de par leur constitution même, sont comme encerclées dans le cadre de l’Etat, et qui dès lors doivent régler leurs jugemens moraux et politiques sur ceux du maître impérial, l’Eglise catholique d’Allemagne trouvera tôt ou tard, nous l’espérons, dans le sentiment de ses liens supérieurs avec le reste de la catholicité, le remède aux aberrations inconscientes d’un certain nombre de ses fidèles, aux aberrations conscientes d’un certain nombre de ses professeurs. Egarés qu’ils sont par l’atmosphère de nationalisme religieux dans laquelle les fait vivre l’Empire évangélique, ils ont besoin de réapprendre, à l’école de Rome, que, sous le règne du Nouveau Testament, aucune des nations chrétiennes ne peut prétendre à cette sorte d’élection qui fut celle du peuple juif ; et qu’elles sont toutes ensemble les membres d’un même corps ; et que le rôle à jouer dans ce corps ne peut être qu’un rôle de membres. Obnubilés qu’ils sont par l’atmosphère de relativisme philosophique qu’a créée la pensée allemande, il leur faut s’imprégner à nouveau d’une doctrine conforme à la droite raison, d’une doctrine qui n’a pas renoncé à définir ce qu’est la vérité. Volontiers dédaignaient-ils la théologie romaine ; un docteur de Rome, murmuraient-ils parfois, n’est qu’un âne en Germanie : doctor Romanus, asinus Germanicus. Tout fiers qu’ils soient, eux, d’être des docteurs de

  1. Reichmann, Stimmen der Zeit, XC (1916), pp. 421 et suiv.