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reconnaître que là où existe la foi protestante, le Christ est effectivement vivant, et que la foi catholique n’est qu’une simple adhésion à une doctrine ecclésiastique ; elle devrait enfin cesser d’insister pour le rappel des Jésuites. M. le curé Rieder prend acte de ce triple ultimatum, non sans une gêne un peu chagrine, mais il laisse entrevoir cependant, en se rappelant les précédentes éditions, qu’un arc-en-ciel commence de resplendir. « Quelques agitations haineuses et offensantes : » c’est à quoi paraît se réduire, pour le P. Lippert[1], l’action profonde et constante exercée par la Ligue évangélique ; et lorsqu’il s’agit de haines qui, en Belgique, se sont révélées homicides, incendiaires, et qui déjà concertent des persécutions pour le lendemain, on peut trouver que le P. Lippert pratique avec complaisance l’art des euphémismes.


VI

De l’indulgence à la coquetterie la route est brève. Pour apprivoiser la Ligne évangélique, dont on sent intérieurement qu’elle est en train de s’armer, ne pourrait-on lui faire le sacrifice de certaines habitudes de piété qui lui déplaisent ? Et savamment on prépare le sacrifice, et on l’accomplit.

Une certaine philosophie allemande, pour laquelle, au dire d’un professeur du séminaire de Pelplin[2], les Français se montrent depuis quelque temps trop sévères, aboutissait à supprimer toute notion de vérité transcendante et à faire de l’homme lui-même la source de tout ce qui, pour lui, est vérité. De là à ramener la religion allemande à n’être que le produit et l’expression d’une certaine collectivité humaine qualifiée peuple allemand, il n’y avait qu’un pas. La religion allemande doit être, en quelque mesure, fille du germanisme : voilà l’idée qui peu à peu. au cours du XIXe siècle, s’insinua dans les esprits. L’apologétique protestante s’en empara : Luther fut célébré comme l’homme foncièrement allemand (kerndeutsch), comme représentant l’assimilation du christianisme par l’âme germaine, l’adaptation du christianisme à l’immanence germanique, et comme ayant créé, par son émancipation à l’endroit de Rome, une façon authentiquement teutonne d’être chrétien. Et l’hommage même

  1. Pfeilschirter, Deutsche Kultur, p. 87.
  2. Pfeilschifter, Deutsche Kultur, p. 117-132.