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militaire ne serait rien ou peu de chose. Ce qui lui donne surtout une prodigieuse efficacité guerrière, c’est ce qu’il voit plutôt que ce qu’il fait, c’est qu’il est un œil plutôt qu’un poing.

Comme toutes les guerres passées, mais plus peut-être encore qu’elles, à cause de son étendue supérieure dans le temps et dans l’espace, cette guerre est en effet avant tout un problème de repérage. Mettez face à face deux adversaires dont l’un, aveugle, soit armé d’une mitrailleuse perfectionnée, dont l’autre, voyant, n’ait qu’un mauvais petit revolver : c’est le premier qui sera vaincu. Entre deux batteries qui se combattent, l’une puissante et formidable, mais ignorant où est son adversaire, et l’autre qui le sait, mais se compose de médiocres et faibles canons, c’est celle-ci qui l’emportera. « Veni, vidi, vici » disait César. C’est parce qu’il avait vu qu’il a vaincu, et le grand capitaine exprimait ainsi, sous une forme immortelle, cette vérité que, pour porter des coups qui soient victorieux et avant de le faire, il faut voir où on les porte. Voir où est l’adversaire, savoir ce qu’il fait, juger de l’efficacité des coups qu’on lui assène et les rectifier, c’est les trois quarts de l’art de la guerre, et c’est pourquoi le matador fluet et léger reste toujours vainqueur du taureau dont la force supérieure est mal dirigée. L’avion est le plus admirable des observatoires ; il permet de voir d’un coup une vaste étendue de terrain ; bien plus, cet observatoire est mobile ; il n’est plus de pli du sol, plus de masques ou de crêtes dont il ne dévoile la fallacieuse protection ; quelque mouvement, quelque geste que fasse l’adversaire dans le maniement de ses engins et de ses effectifs, « cet œil est toujours là et regarde Caïn. »

D’après cela, nous voyons immédiatement que le principal avion de guerre est l’avion de renseignemens, et ici même encore, il faut distinguer l’avion qui renseigne sur ce que fait l’ennemi, et celui qui renseigne sur ce que nous faisons nous-mêmes, je veux dire sur la façon dont nos projectiles atteignent ou non leurs objectifs. Le premier est l’avion de reconnaissance, le second l’avion de réglage d’artillerie. Mais le tout n’est pas de voir l’ennemi du haut de ce poste d’observation idéal qu’est un aéroplane : il faut empêcher l’adversaire d’user du même avantage. C’est ainsi que sont nés les avions de chasse destinés à abattre et à mettre en fuite les avions de réglage et de reconnaissance de l’ennemi. Comme celui-ci ne manque pas de vouloir, lui aussi, réduire à l’impuissance nos propres avions de renseignemens, il s’ensuit que par la force des choses les avions de chasse se combattent entre eux. Ainsi le combat d’avions, si épique et beau qu’il soit, n’est qu’un corollaire indispensable de cette fonction