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divertissement de la lecture ; elle laissa faire le temps ; elle confia son cœur à la nature.

Il y a, chez Mme d’Albany, en toute circonstance et à tout propos, un remarquable souci de la méthode, que les hasards de son existence ne découragent pas. Aucune femme n’eut destinée plus aventureuse ; et aucune femme ne vécut avec plus de circonspection. Sur toute chose, elle a une théorie : elle n’en a pas deux, car l’incertitude lui serait insupportable ; elle en a une, et s’y tient avec énergie.

Elle a une théorie médicale : et elle vous soigne sans barguigner. Elle vous dit : « Je crois que vous ne connaissez pas la cause de votre mal d’estomac. Vous devriez l’étudier : ce doit être abondance d’acides ou d’alcalis. Si on connaissait bien la qualité de l’estomac, on n’aurait jamais mal. » Vous avez mal aux nerfs ? « C’est une folie de dire que vous avez mal aux nerfs. On a mal aux nerfs parce qu’il y a une humeur qui pique ces nerfs, et c’est l’humeur qu’il faut corriger, et les maux de nerfs cessent. » Quand elle apprend la mort de Teresa Mocennî, elle en a l’âme « déchirée ; » et elle annonce : « Les médecins sont des ânes, à Sienne ; s’ils avaient purgé cette pauvre femme à la première maladie, ils l’auraient tirée d’affaire. » L’archiprêtre Luti a de mauvaises digestions : c’est qu’il mange trop de cerises ; « ce fruit fermente dans l’estomac. » Elle-même est enrhumée : c’est « une surabondance d’humeur lymphatique ; » et elle se met au régime de la rhubarbe. Mais, une fois, songeant parmi ses drogues, elle se trompe de flacon, se tamponne les yeux avec de l’alcali volatil : et voici, pendant trois jours, enflés ses yeux qu’elle avait bleu foncé ou peut-être noirs.

Elle a une théorie de l’art épistolaire et la résume comme suit ; « En français, quand on sait écrire, on sait écrire des lettres ; il suffit de mettre sur le papier le discours familier, sans aucune prétention. » Ce n’est pas plus difficile que ça, pour ainsi dire ! Elle vient précisément de lire les lettres de Mme de Sévigné : c’est tout l’enseignement qu’elle a recueilli de sa lecture. Et elle écrit des centaines, des milliers de lettres, quant à elle. Conformément à la leçon qu’elle a prise auprès de Mme de Sévigné, elle met, sans aucune prétention, sur le papier, son discours familier. Quel triste galimatias cela donne ! Si l’on dit qu’elle sait imparfaitement notre langue, elle ne s’en doute pas ; et que le français n’était pas sa langue maternelle : eh ! elle n’avait pas de langue maternelle, comme elle n’avait pas beaucoup de patrie. Elle a choisi le français, pour écrire ; mais elle trouve à l’italien plus de « bautais : » oui, plus de beautés, plus de richesse et