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qu’après la mort de mon mari j-e serais heureuse et tranquille ! »

Après la mort de Charles-Edouard, l’une des plus drôles de choses qu’elle fit, ce fut d’aller en Angleterre et d’emmener son amant visiter avec elle son royaume, le royaume qu’elle tenait, ou aurait pu tenir, de Charles-Edouard. Et, si l’on se figure qu’elle voyageait avec modestie, on ne la connaît pas : elle voulut être joliment présentée à la Cour, Sans rancune pour la maison de Hanovre et pour l’« usurpateur, » elle offrit ses hommages à George III et à la reine Caroline. Horace Walpole, étonné du « sens dessus dessous » contemporain, écrit à miss Berry : « On a vu dans ces deux derniers mois le Pape brûlé en effigie à Paris, Mme du Barry invitée à dîner chez le lord-maire de Londres, et la veuve du Prétendant présentée à la reine de la Grande-Bretagne. » Il ajoute que Mme d’Albany « ne parut pas embarrassée le moins du monde. » Elle rédigea ensuite ses souvenirs et impressions de voyage : elle ne peut souffrir Londres ni l’Angleterre, ni les Anglais, ses légitimes sujets, et dans tout le royaume elle n’admire que le gouvernement de George III.

Ss liaison avec Alfieri est célèbre. Alfieri lui-même l’a contée dans la Vita di Vittorio Alfieri, Et, quand Lamartine dit que Louise de Stolberg fut « l’autre Laure de cet autre Pétrarque, l’autre Béatrice de cet autre Dante, l’autre Vittoria Colonna de cet autre Michel-Ange, » il cède aux glorieuses prétentions d’Alfieri, lequel avait un jour disposé en un tableau les portraits des quatre grands poètes d’Italie et parmi eux réservé une place, où déjà il posait la couronne de lauriers, — Digniori ! — pour lui. Et il a écrit : « J’ai élevé un monument à l’amour. J’ai donné à une souveraine déchue une royauté plus haute ; et mon nom restera éternellement attaché au nom de la reine d’Angleterre. Parmi les chantres immortels de l’amour, en est-il à qui soit échue pareille destinée ? Ce qui a causé la folie du Tasse est devenu mon triomphe et ma gloire ! » Il serait périlleux de comparer Victor Alfieri avec Michel-Ange, ou Dante, ou Pétrarque ; et Mme d’Albany, probablement, avec Vittoria Colonna, ou Béatrice ou Laure. Mais Alfieri se plaisait à organiser de telles analogies.

Et elle ?… On n’a guère publié de lettres d’elle antérieures à l’année 1797. Elle avait, cette année-là, quarante-cinq ans ; elle était l’amie d’Alfieri depuis vingt ans. Leurs lettres d’amour ont disparu : c’est dommage ! T<elle que nous la voyons, dans la correspondance de sa maturité, Mme d’Albany est une bonne femme et qui aime bien son amant. « Vous qui avez connu tous les orages du cœur… » lui écrira Sismondi. Mais, à la lire, on ne devine pas les orages. Ou bien, les