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armée fraîche plus formidablement outillée que l’adversaire, c’est surtout la volonté implacable dont témoigne ainsi l’Angleterre de jeter dans la lutte toute sa force nationale et d’abattre celui qui a déchaîné cette effroyable guerre, et qui mérite à plus juste titre que le grand Empereur, vaincu il y a cent ans, d’être appelé « l’Ennemi du genre humain. »


Après les effectifs, examinons l’usine de guerre.

De même que l’armée anglaise s’est transformée en appelant au combat tous les hommes valides capables de porter les armes, l’industrie anglaise s’est adaptée avec une admirable souplesse à l’œuvre de guerre. Et l’effort accompli par elle est aussi extraordinaire que celui du service obligatoire. Les deux efforts se confondent d’ailleurs, mais si l’un a dû lutter contre la vieille et fière tradition de l’habeas corpus, dans le sens bien anglais de la libre disposition de sa personne, l’autre a dû briser l’esprit d’affaires, caractéristique de la tradition commerciale anglaise, et en même temps la mentalité spéciale de la classe ouvrière.

Le problème de l’outillage militaire, lorsqu’on entend par ce mot l’ensemble des fournitures de tout ordre (vêtemens, fusils, artillerie, munitions surtout) qu’exige une armée en campagne est toujours un des plus malaisés à résoudre ; mais lorsqu’il s’agit de le créer de toutes pièces pour une armée dont les effectifs sont soudainement décuplés, les difficultés paraissent être insurmontables et demander un temps très long pour les vaincre. En même temps, en effet, que la demande s’accroît dans une telle proportion, les ressources de main-d’œuvre s’affaiblissent. Et dans le Royaume-Uni la question devenait d’autant plus importante, voire critique, que, sous le régime des engagemens volontaires, les prélèvemens opérés sur le personnel ouvrier des diverses industries s’effectuaient au hasard, sans plan et sans méthode.

En outre, dans un pays n’ayant pas l’esprit militaire, une difficulté spéciale venait de ce que toute la production était nettement orientée vers les fabrications de paix, et qu’un esprit conservateur excessif avait le plus souvent fait maintenir en service un outillage désuet et peu propre à la production devenue subitement nécessaire. On voit donc immédiatement l’une