Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 34.djvu/666

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prendre sur une étagère de la « hutte » un bon verre plein de vin rouge, que le peintre verrier se plut à faire d’un beau rubis transparent et vermeil et il le vide d’un seul coup… Ils savaient et aimaient leur métier ; ils avaient dans leur corporation — incomparable école d’apprentissage et de formations technique et artistique — des règlemens, des devoirs et des droits bien assurés ; ils trouvaient dans la pensée contemporaine, dans la foi commune, le support puissant, l’inspiration féconde de leurs œuvres, pour l’exécution et l’invention plastique desquelles ils conservaient d’ailleurs une liberté dont elles-mêmes témoignent abondamment. Et, sans souci d’originalité laborieuse et factice, participant en toute sécurité de toutes les forces et disciplines de leur temps, ils apportaient au chef-d’œuvre commun la collaboration de leur génie dont ils ne tiraient pas vanité, qu’ils ignoraient peut-être.

Loin donc d’être née d’une scission, d’une sorte de révolte, la cathédrale fut le chef-d’œuvre d’une véritable union sacrée. Tous les états de la société, depuis le Roi jusqu’au dernier membre de la corporation ; toutes les connaissances du temps, toutes les forces profondes de la vie nationale à un moment privilégié de son histoire vinrent y collaborer, s’y exalter en s’y amalgamant. La charte de fondation de Notre-Dame d’Amiens n’employait pas une vaine formule de chancellerie, mais enregistrait une réalité féconde, en constatant pour cette grande entreprise l’accord unanime du clergé et des citoyens sous l’inspiration même de Dieu : Accedente consensu Ambianensis cleri et populi, tanquam eis fuisset a Domino inspiratum.

La grande puissance intellectuelle que représentaient les universités n’y resta pas étrangère. Jamais le renom de la France et de Paris ne brilla d’un plus grand éclat dans le monde. Certes, les grandes écoles monastiques avaient été des foyers dont le rayonnement s’était étendu loin au-delà de leurs limites. Celle de Saint-Benoit-sur-Loire, qui fut d’abord Fleury-sur-Loire, dès les temps carolingiens, avait porté au loin sa réputation et ses lumières (luciferam famam de speciali Schola Floriacensi) ; les écoles de Chartres, par l’organisation précoce de l’enseignement du trivium et du quadrivium, avaient valu à leur cathédrale l’honneur de montrer aux voussures de sa porte royale la première illustration sculpturale des arts libéraux ; mais Paris prit au XIIIe siècle une incontestable