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XIIe et du XIIIe siècle je ne sais, ou plutôt je sais trop, quel sous-entendu de polémiques rétrospectives. D’après lui, les constructeurs et les décorateurs laïques de nos cathédrales auraient été plus ou moins des précurseurs de la Révolution et il croyait trouver dans l’inscription libertas, gravée sur l’écu d’une des statuettes du porche septentrional de Chartres, comme le mot d’ordre de leurs revendications (or, il s’agit tout simplement d’une Béatitude et la liberté qu’elle proclame est celle que donne la vérité : cognoscetis Veritatem et Veritas liberabit vos). L’art laïque français aurait donc été une réaction violente contre l’art « monastique, » contre l’art « roman » épuisé et que les populations auraient « repoussé parce qu’il était l’expression vivante de ce pouvoir monastique contre lequel s’élevait l’esprit national ; » les ateliers laïques se seraient servis de l’art « comme d’un moyen d’exprimer leurs aspirations lontemps contenues. » Les grandes cathédrales enfin auraient été le résultat d’une alliance entre le haut clergé séculier et les communes : les évêques mettant cette entente à profit pour ressaisir leur autorité spirituelle amoindrie par les trop puissans monastères, affaiblir la féodalité territoriale et consolider leur puissance temporelle ou tout au moins leur influence prépondérante dans les villes.

C’est rapetisser, c’est fausser complètement la vérité historique, en l’espèce si claire et si belle. Certes, dans toutes les parties de la cathédrale, on sent passer comme un grand souffle vivifiant et nouveau. La nature y pénètre, elle renouvelle le vieux décor, complexe et stylisé, fait d’élémens inégalement assimilés et amalgamés selon les écoles, empruntés à l’antiquité, à l’Orient, aux vieux fonds celtique et barbare, à d’abstraites formules géométriques, auxquelles se substitue progressivement une flore de plus en plus naturelle et vivante. C’est d’abord l’arum, les fougères, l’iris, le nénuphar, le cresson, — toutes les plantes d’eau communes dans les bois marécageux de l’Oise ; puis interviennent, s’épanouissent et s’enroulent autour des chapiteaux des essences plus variées, de dessin plus souple, plus capricieux que les aroïdecs : chêne, érable, vigne, liseron, scabieuse, violette, mauve, fraise, oseille, persil, tout ce que les prairies, les champs, les bois, les herbes du chantier lui-même offraient à la fantaisie des ornemanistes, dès lors affranchis de tout modèle d’emprunt et penchés vers la nature fraternelle. On croit voir s’épanouir partout