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XIIe siècle, chargeaient encore les bas côtes, disparaissent dès le début du XIIIe. Le grand architecte inconnu de la nef de Notre-Dame de Chartres les trouve incommodes ; elles pèsent comme un poids mort, gênent la force ascensionnelle de l’édifice ; ceux de Reims et d’Amiens, Jean d’Orbais et Robert de Luzarches, quelques années plus tard, allègent encore le dessin général de la nef, élèvent les collatéraux débarrassés de ce fardeau à une hauteur jusque-là inconnue, ouvrent plus larges et plus hautes les fenêtres, tracent avec une légèreté plus élégante les meneaux et les roses qui encastreront les vitraux dans leurs sertissures de pierre, montent les voûtes jusqu’à 40 et 45 mètres, impriment à la masse formidable cet élan dont chaque membre du puissant organisme est animé et multiplie harmonieusement l’impression. Aussi, sous saint Louis, au moment où l’on ajoute à Notre-Dame de Paris ses splendides transepts, juge-t-on que la cathédrale métropolitaine paraît trop archaïque et timide en comparaison de ses cadettes ; — on descend alors les fenêtres de la nef aussi bas qu’il est possible, — mais les voûtes des tribunes s’opposent à ce rajeunissement ou du moins le limitent, et c’est dans les prodigieuses roses des deux transepts, c’est dans la Sainte-Chapelle, qui semble faite d’air, de verre et de lumière, que les maîtres de l’Ile-de-France pourront montrer qu’ils ne sont inférieurs en science ni en audace à leurs confrères de Champagne et de Picardie.

Notez d’ailleurs qu’à chaque moment de cette évolution, et parce qu’elle est comme le développement et le jeu d’un vivant organisme, chaque œuvre, prise en soi, se compose harmonieusement et semble définitive. C’est seulement en la comparant à ce qui l’a précédée et à ce qui l’a suivie que nous nous rendons compte de l’espèce d’émulation qui, d’un chantier à l’autre, semble animer les architectes vers des solutions toujours plus hardies. Le rythme de la croissance nous devient alors sensible et, du transept méridional de Soissons, ce chef-d’œuvre parfait de grâce virginale, de mesure, d’harmonie, j’oserais dire « racinienne », à la nef d’Amiens, nous assistons, émerveillés, au travail toujours divers et toujours homogène d’un même esprit, d’une même raison qui sont l’esprit même et la raison de France.

Esprit, logique, raison… Viollet-le-Duc disait volontiers « rationalisme » et l’on voit la nuance qui, tout de suite, fausse la vérité historique en introduisant dans l’étude de notre art du