Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 34.djvu/659

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

architecturales, Pontigny en reste un admirable exemple ; — mais quand on pense que saint Bernard allait jusqu’à redouter comme un élément soit de distraction pour le fidèle soit de dépense inutile, la polychromie décorative des vitraux (vitreæ albæ fiant) et la polyphonie des chants liturgiques auxquels les moines de Cluny avaient donné une magnifique extension, comment ne pas se réjouir de l’échec de sa réforme ? Nul plus que Suger n’avait pris au sérieux la parole du Psalmiste : Domine, dilexi decorem domus tuæ. Il revient sans cesse sur ce point : « Que chacun abonde dans son sens ; mais quant à moi, je le confesse, pour la célébration de la sacro-sainte Eucharistie, rien ne sera jamais trop précieux et trop cher (quæcumque carissima, sacro-sanctæ Eucharistie administratione… desservire debeant). D’autres (c’est saint Bernard) nous objectent que la pureté du cœur et de l’esprit suffisent… Sans doute, mais si cette pureté est indispensable, il n’est pas inutile d’y ajouter la beauté des objets du culte et ce respect de la nature matérielle que notre Sauveur a daigné joindre à son essence immatérielle. » Et il résumait sa doctrine dans les inscriptions multipliées sur l’édifice, dont l’une, sur les portes de bronze, disait :


Mens hebes ad verum per materialia surgit.


C’est toute la théorie de l’art idéaliste.

À côté de Suger, comment ne pas nommer le délicieux Pierre le Vénérable, abbé de Cluny, grand humaniste, charmant précurseur d’une véritable renaissance ? Ses lettres sont émaillées de citations d’Horace ; mais si, par aventure, quelque vers trop païen lui revient à la mémoire, il le supprime ; tace religua, écrit-il à la place, par exemple quand, célébrant la douceur de ses retraites champêtres au plus profond des forêts,


Me doctarum hederæ prœma frontium
Dis miscent superis, me geélidum nemus,


il s’interrompt tout à coup pour ne pas avoir à ajouter :


Nympharumque leveés cum Salyris chori.


Il défend avec une admirable éloquence toutes les formes de l’art religieux ; la musique d’abord : comme le Psalmiste, il veut qu’on célèbre le Seigneur avec la lyre, la harpe, le citharion, les voix bien sonnantes et les trompettes retentissantes ; la