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reconnu ce qu’il croyait, l’Université ce qu’elle enseignait. Là est le secret de cette confiance réciproque renforcée ; là est un des secrets aussi d’une unanimité qui nous surprend nous-mêmes. Les plus incrédules se sont découvert une foi, les plus réalistes un idéal ; et cette foi, et cet idéal sont les mêmes pour tous. Ils sont au fond de l’âme de ceux même qui en reconnaissent d’autres. Et enfin ils ne font qu’un avec les enseignemens essentiels de l’Université. Tandis que, selon la profonde remarque de Renouvier, le culte de la force et du destin est le vice capital de la pensée et de la civilisation germaniques, le culte de la liberté est l’aboutissement de la pensée française de tous les temps, et le centre autour duquel gravitent toutes nos dévotions intellectuelles ; il donne chez nous au culte même de la patrie, qu’il complète, comme un horizon plus large et un prestige d’universalité.

L’école française se dresse, forte de ce dogme à elle, en face de l’école allemande. Celle-ci se prétend victorieuse, parce que, au dire de la Pädagogische Warte, nos classes auraient manqué de maîtres pendant la guerre. Cela est faux, nous l’avons vu ; et cette victoire ressemble à d’autres victoires allemandes. Mais le débat est plus haut. Il s’agit pour nous d’une croisade philosophique. Le mot a été imprimé pour la première fois, je crois, par M. Boutroux. Mais la pensée a été souvent exprimée. Plus consciente pour l’élite intellectuelle, elle a pénétré les âmes de tous les combattans, et devient pour eux un principe supplémentaire de courage. Tous ont entendu les mêmes voix. Et, l’un d’eux nous l’a dit plus haut, tous ont senti plus ou moins descendre sur eux comme le secours surnaturel de l’idée pour laquelle ils luttent. Ils savent qu’elle peut ne pas empêcher de mourir, mais qu’elle-même ne meurt pas et que les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre elle.

On a parlé justement de la responsabilité de l’école allemande. Personne, parmi nous, ne s’aviserait de lui reprocher l’ardeur de son patriotisme, car nous avons à un haut degré le sentiment de la réciprocité ; mais elle a sciemment et méthodiquement intoxiqué le peuple qui lui était confié, faisant servir l’éducation à des fins politiques aujourd’hui avouées. En face de cette formidable responsabilité, l’école française n’a rien à se reprocher. Quiconque a franchi son seuil, pour y recevoir le plus haut enseignement ou le plus humble, sait qu’il n’a jamais