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collaboration heureuse de ce que les philosophes appellent l’inconscient, et où des forces venues du passé s’élaborent. Tout de même ses enseignemens n’ont pas trop mal tourné, et elle a sa part dans le rôle joué par la jeunesse sortie de ses mains. Le pays n’éprouve pas de colère à son sujet, et se tourne plutôt vers elle avec un sentiment de reconnaissance. On lui demandera donc d’abord de rester fidèle à elle-même. Il ne se peut pas cependant que d’aussi grands événemens ne ressortent d’utiles leçons. Elle aura appris d’eux le prix de l’union entre les Français ; et la neutralité, qui est sa loi, se teintera de plus de respect encore pour toutes les forces morales qui ont soutenu l’âme française pendant l’épreuve, et de plus d’amitié entre les hommes. Elle aura appris des mêmes événemens l’utilité de la règle, de la discipline, de la coordination des efforts, puisqu’on n’ose plus se servir du mot « organisation. » Il n’est pas douteux, non plus, et nous avons signalé déjà des symptômes de ce mouvement d’opinion chez les élèves eux-mêmes, qu’une prédominance jalouse sera réclamée dans les programmes pour tout ce qui est notre langue et notre tradition. La culture classique bénéficiera de la même faveur, comme une vieille nourrice qui fait partie de la famille. Les pédagogues allemands, dans un accès de nationalisme frénétique, se hérissent en ce même moment, et veulent secouer la superstition de l’antiquité. A quoi bon, écrit l’un d’eux, les discours de Cicéron quand on a ceux de Bismarck ? A leur aise ! les choses seront plus claires ainsi : d’un côté toute l’humanité du passé et du présent ; de l’autre, l’Allemagne. L’amour passionné que nous portons à notre littérature ne souffre pas, chez nous, de l’admiration que celle des autres pays nous inspire, ni de la reconnaissance que nous ressentons pour les lettres antiques. Et, à y regarder de près, cette sécurité de l’affection témoigne d’une foi plus grande dans la valeur de son objet.

On a pu craindre que, l’Allemagne se réclamant de la science et des méthodes scientifiques, elle n’eût réussi à les disqualifier à nos yeux, et que quelque réaction imprudente ne se produisît où elles seraient enveloppées. Ce serait tomber dans le piège, et nos ennemis se réjouiraient du bon tour qu’ils nous auraient joué, en nous faisant croire que la science est allemande. Il conviendra seulement de perdre l’habitude, à laquelle une pédagogie de défaite s’était peut-être trop facilement pliée, d’associer