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ministre, il signale, avec une émotion grave, « le sérieux des enfans et des maîtres, instituteurs civils et militaires, le sentiment profond, instinctif chez les uns, fortement perçu par les autres, de l’acte si simple qui s’accomplissait en ce moment, et qui n’était rien moins que le retour à la France de l’âme et de l’intelligence des enfans de nos bien-aimés frères d’Alsace. »


DANS LES CAMPS DE PRISONNIERS

Allons en Allemagne, suivons les tristes convois de nos prisonniers, entrons dans les camps ; nous y verrons encore, chose inattendue, des universitaires faire leur métier et, par le travail qu’ils s’imposent, et auquel ils convient leurs compagnons, adoucir leur sort et celui des autres. Parlons d’abord des institutrices ; car il y a des institutrices prisonnières. A Zwickau, où des villages entiers avaient été transportés en exil, deux institutrices des Ardennes, et deux de la Meuse se trouvèrent au milieu de 70 enfans de quatre à treize ans, prisonniers eux aussi. La tentation était trop forte de se dévouer. Mais il fallait une autorisation : elles l’obtinrent ; des livres : un sous-officier allemand, professeur de français, prêta trois grammaires. Elles réussirent même à procurer à chaque enfant une ardoise et un crayon. Un morceau de linoléum tint lieu de tableau noir. Les enfans travaillèrent. Le camp fut moins bruyant, et l’atmosphère pour tous fut moins lourde. L’une de ces institutrices écrivait presque gaiment à son inspecteur d’académie :


Les jours de captivité passeront plus vite, nous l’espérons, dans l’exercice du travail habituel. De loin, monsieur l’Inspecteur d’académie, je suis toujours votre administrée. La distance qui nous sépare n’est que matérielle ; et instruire les petits Français prisonniers en Saxe vaut bien, n’est-ce pas, faire la classe aux écoliers libres de France.


A Amberg, en Bavière. le même spectacle d’enfans abandonnés et oisifs inspira à un instituteur et à une institutrice le même dévouement.

Dans les camps de prisonniers militaires, les instituteurs se cherchent les uns les autres, comme font sans doute les hommes de toutes les professions. Cependant peu de métiers tiennent à ce point leur homme. L’habitude, qui est la leur, des groupemens professionnels a fait naître, jusque dans les camps de