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elle-même, à travers balles et obus, une lettre à la mairie. Pour être sûrs qu’elle remplira sa mission, ils gardent sa mère comme otage. Elle partit, bien que fort timide de sa nature. Et la personne qui fit ce récit à M. Adam ajoutait : « Les martyrs devaient s’avancer ainsi dans l’arène. » Elle revint d’ailleurs. Beaucoup de ses collègues lui ressemblent, et ne se doutent pas plus que la petite répétitrice qu’elles font quelque chose de peu ordinaire. Elles vont où il faut aller, sans se soucier du reste. L’héroïsme est devenu un état. Il faut ajouter que l’éducateur, ayant par profession la pensée tournée vers l’avenir, oriente du même côté la pensée des autres, grand bienfait, surtout quand le présent est ce qu’il est. Un publiciste a intitulé une brochure : Le travail invincible. Il songe au travail du laboureur. Ce caractère d’invincibilité convient aussi à l’humble travail scolaire : sous l’obus, il persiste et triomphe.

Ailleurs, on descend dans les caves accidentellement, pour laisser passer la tourmente. A Reims, on y vit. Les écoles des caves de Reims ne sont pas seulement un fait-divers pittoresque, elles sont un témoignage de cette volonté de travail dont nous parlons. La rentrée est impossible, en octobre, 1914, dans des locaux sans cesse « arrosés. » On patiente un mois, deux mois, espérant une délivrance prochaine. Enfin, en décembre, Je maire, M. Langlet, et l’inspecteur primaire, M. Forsant, ont l’idée d’installer des écoles dans des caves. Des réfugiés belges et rémois, qui y avaient déjà cherché un abri, avaient, pour ainsi dire, montré le chemin. Il faut savoir que ce sont des caves particulièrement confortables que celles de Reims, vastes galeries de plusieurs kilomètres de long, creusées dans la craie à des profondeurs variant entre 2 et 10 mètres. La largeur de ces caves varie elle-même entre 5 et 10 mètres. Et la hauteur atteint 3 m. 50. Peu d’humidité et un air renouvelé, grâce à des ouvertures appelées « essores, » percées de distance en distance. On transporte donc dans ces caves le mobilier scolaire : bancs, tables et tableaux noirs. Pour remplacer la gaieté du soleil, on a des plantes vertes, des drapeaux, les portraits des hommes du jour. La maison Pommery eut l’honneur de recevoir la première école. Le succès ayant été rapide, d’autres écoles furent ouvertes dans les caves d’autres maisons. Il y eut quelques déménagemens, mais les écoles transportèrent leurs noms avec elles. Ce sont des noms auxquels on tient : école