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il y a des initiatives originales qui rompent cette monotonie : à A…, les élèves apprennent à imprimer en Braille pour fournir des livres de lecture aux soldats aveugles ; à B…, des professeurs, deux jeunes filles, ouvrirent une maison de réfugiés et surent l’administrer ; à C…, des maîtresses, accompagnées de soldats éclopés, se rendent au marché, pour améliorer l’ordinaire de l’hôpital, et obtiennent régulièrement de générosités habilement sollicitées des légumes qu’épluchent ensuite les élèves ; à D…, toute petite ville, on ouvrit un vestiaire de réfugiés, et quatre-vingts personnes passèrent au réfectoire, transformé en salon d’essayage. Ces premières lettres de l’alphabet figurent de véritables initiales, et nous pourrions continuer ainsi. Comment ne pas faire mention, par exemple, d’une école où l’on confectionne des vêtemens de deuil pour les mères et les épouses ? Le trait commun, c’est que partout ce qu’on pouvait espérer du bon cœur de toutes a été dépassé. « Je vis avec beaucoup de mes élèves, écrit la directrice du lycée Lamartine, depuis huit et dix ans, et avec plusieurs de mes collaboratrices depuis une vingtaine d’années, et je puis dire que j’étais bien loin de connaître toute leur valeur morale. » Il s’est donc produit là aussi un « miracle français. » Devant l’appel brutal des événemens, ces sentimens devinrent aigus : la conscience d’être, entre Français, de la même famille, et la honte éprouvée par les meilleurs d’entre nos enfans de leur propre tranquillité et de leur propre bonheur. Puissent ces sentimens durer ! Puissent nos fillettes ne pas laisser rouiller leurs aiguilles, et ne pas perdre l’habitude de regarder, au-delà des grilles heureuses de leur lycée, les misères que la guerre n’est pas seule à engendrer !

Voici deux tâches enfin où le rôle de l’école s’annonce, mais ne fait que commencer. La guerre a fait déjà d’innombrables orphelins. Une loi est en préparation qui en remet le soin à l’administration de l’Instruction publique. Si cette loi est votée dans ces termes, elle signifiera ceci : c’est que le premier devoir contracté envers les orphelins est en effet le devoir d’éducation, quelque modalité d’ailleurs que déterminent, pour cette éducation, les préférences paternelles, et des volontés sacrées, quoique parfois inexprimées. L’œuvre des « Pupilles de l’école » s’efforce déjà de créer dans l’école même, pour ceux qui lui sont confiés, une atmosphère de protection. Il y a déjà aussi quelques « frères