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avec une curiosité qui dépassait le cercle de la famille : on se les communiquait dans toute la ville.

La première est du 26 septembre. « Voilà un rude régime, pas de lettres de vous depuis près de quinze jours, et pas moyen de vous écrire que de petits billets que le vent emporte. Quand recevrez-vous ces quelques lignes ? Vous parviendront-elles ? Je n’en saurai rien d’ici au jour du revoir ! » Il aurait pu mettre ces mots en devise sur toutes les suivantes. Mais il a pris son parti, comme tous les braves gens de Paris : « Nous allons fort bien, et nous sommes parfaitement tranquilles et résolus. Décidément Paris est une ville qui saura se défendre. »

Quinze jours plus tard, l’impression reste la même et se confirme : « Nos affaires militaires sont en bonne voie ; l’impossibilité absolue d’entrer dans Paris de vive force est aujourd’hui démontrée aux Prussiens ; aussi paraissent-ils résolus à convertir en blocus le siège qu’ils avaient préparé. Depuis vingt-deux jours qu’ils sont sous nos murs, ils n’ont pas avancé d’un pas. Pour mon compte, j’ai promené ma longue-vue autour des fortifications sans en avoir rencontré un seul. L’armement de Paris comme forts et remparts ne laisse rien à désirer. On travaille sans relâche à fabriquer des canons se chargeant par la culasse et des mitrailleuses. On est même parvenu à organiser des ateliers pour la confection des chassepots ; enfin, tout marche à souhait. Il faut dire que les nouvelles venues de province ont relevé ici les plus abattus. Je ne peux pas croire que le gouvernement nous trompe. On parle d’armées en formation et presque en marche, on parle de levées considérables. Vous devez maintenant avoir entre les mains ce qu’on a pu acheter d’armes à l’étranger. Cet accord unanime de la France pour le salut commun est le gage assuré de la victoire. En attendant, nous tiendrons bon.

« Le grand mal de notre situation, ce sont les rumeurs qui circulent et que l’on accueille sans réflexion ; il y a quinze jours, 100 000 personnes attendaient sur le boulevard Saint-Michel le passage de 40 000 Prussiens qu’on annonçait s’être rendus à Châtillon. Il y a quatre jours, on disait hautement que la province refusait tout concours. L’esprit inquiet va ainsi d’un excès à l’autre. Cependant la solidité commence à s’établir dans les esprits. On se fait à l’idée des dangers et de la mort. Paris se relève ; les femmes surtout sont merveilleuses de