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spoliateurs et les cruels, le clergé d’Espagne ne se lassa pas de défendre, parfois au péril de la vie, les indigènes ; et, s’il obtint trop tard pour eux la reconnaissance de leurs droits, du moins ne cessa-t-il pas son effort que le grand conseil de Castille n’eût confessé les fautes et solennellement rappelé aux conquérans cupides et cruels leur mission de régénérer dans un monde nouveau les créatures humaines par la vérité.

C’est la même doctrine que l’Espagne veut servir quant à la Réforme elle oppose partout la résistance inflexible de son orthodoxie. Habituée à défendre contre l’Islam sa foi par le fer, elle employa la même arme contre les protestans, et ne se lassa pas de frapper jusqu’à ce que l’arme se brisât entre ses mains. Elle perdit à cette dernière lutte sa primauté politique, et ses bourreaux et ses victimes demeurent dans le souvenir les témoins toujours vivans d’un fanatisme sans pitié. Sa grande faute fut de n’avoir pas, durant une vie toute guerrière, assez médité la religion qu’elle voulait défendre, de n’avoir pas compris le précepte donné aux hommes par l’obstination du Christ à ne jamais accepter le secours d’aucune contrainte. La grande erreur fut de ne pas reconnaître qu’où l’unité créée par la persuasion se brise, la persuasion seule reste efficace pour rétablir l’unité disparue des esprits. Mais cette erreur était à ce moment celle de tous, les moyens employés furent ceux de l’époque, les mêmes dont usaient les protestans contre les catholiques. Condamnation passée sur les moyens, reste à juger le but. Que la paix des esprits soit pour toute société l’état le meilleur, personne n’y contredira, et cette paix est d’autant plus précieuse que les objets de l’accord sont plus importans. La Réforme, fût-elle par ses différences avec le catholicisme supérieure à lui, apportait au monde un mal profond, la discorde. Si le catholicisme persistait à se croire en possession de la vérité, il n’avait pas le droit de tenir pour légitime une doctrine qui rompait la paix des intelligences, et il était naturel que l’Espagne fût la première à résister. Et, dans l’entreprise où ses fautes furent celles de son temps, ceci fut original : l’Espagne, partout où elle agit, sacrifia son intérêt à ce qu’elle croyait son devoir. Dans les Pays-Bas, ses sujets étaient riches et fidèles, bien que tumultueux : les laisser libres de leur religion était s’assurer, avec leur docilité, des ressources abondantes. L’Espagne ne rêvait pas de conquérir la France : à refuser son secours à