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Voici comment elles franchirent les frontières de ces peuples pour en mêler les mullitudes et en unir les âmes. Sur le sol de l’Italie, de la France et de l’Espagne, les souvenirs religieux avaient leurs sanctuaires, communs à tous les chrétiens. Le zèle, alors dans la nouveauté de son ardeur, se satisfaisait à les visiter et mesurait le mérite du voyage à la longueur de la route. Sans cesse des gens de toute condition passaient d’un pays à l’autre. De Rome en Espagne, à travers la France, les sanctuaires semblaient les stations d’un chemin de croix, nombre de ces haltes étaient célèbres, et, tant l’afflux de nos pèlerins était grand vers l’Espagne, la voie qui des Pyrénées descendait vers Saint-Jacques de Compostelle s’appelait « le chemin des Français. » Le mélange de ces foules, leur piété semblable, l’échange de leurs idées rendu facile par la communauté de la langue latine qui n’était pas encore déformée en langues nationales, tout contribuait à faire là une âme commune. Les sentimens de haine, même d’indifférence, n’étaient plus naturels à ces gens venus de trois pays pour s’unir dans la même prière. Là coulait entre les trois peuples la plus ancienne, la plus profonde et la plus abondante source de familiarité et de bon vouloir. En comparaison des pèlerins, les lettrés étaient bien peu nombreux quand le savoir devint aussi une puissance. Le savoir risque, par ses méthodes comme par ses directions, de grouper ses adeptes en écoles, en pays et de séparer les hommes. Mais comme dans le savoir de ces temps la religion était la maîtresse, elle maintenait entre les études, où qu’elles se poursuivissent, les voies ouvertes, et les érudits avaient d’autant plus la curiosité de connaître les diversités apportées par le travail particulier de chaque nation à ces concordances générales. Les universités de France, d’Italie et d’Espagne attiraient les professeurs et les étudians des trois pays aux leçons les plus célèbres, comme un seul auditoire. La parole du maître, entendue sous les arcades de la docte Bologne, ou notée sur les longues et épaisses poutres qui servaient de pupitres aux étudians de Salamanque, ou dominant les foules assises sur la paille de la montagne Sainte-Geneviève, enseigne à ceux de chaque race à admirer les dons de la race voisine. La puissance de l’enseignement, au lieu de se combattre, se surajoute et répand, sur les disciples venus de toutes parts, son unité.

La forme politique de cette concorde internationale fut le