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dans le flot qui passe que ce que contenaient nos deux mains rapprochées. Qu’est-ce que tout cela ? Que prouvent ces aventures héroïques et charmantes, cette vie profonde, cette âme française débordée ?

Les Français se battent en état religieux. Les premiers, ils ont inventé l’idée de guerre sainte. Le soldat de l’an II, quand il croit apporter au monde la Liberté et l’Egalité, se dévoue du même élan et dans le même esprit que le croisé de Jérusalem. Quand le croisé crie : « Dieu le veut, » quand le volontaire de Valmy crie : « La République nous appelle, » c’est le même cri d’armes. Il s’agit de réaliser plus de justice et plus de beauté sur la terre. A tous deux, une voix du ciel ou leur conscience dit :

Se vous mourez, esterez sainz martirs[1].

Ce n’est pas chez nous qu’on entreprend des guerres de proie. Des guerres pour la gloire et l’honneur, soit, parfois ! Mais pour soulever la nation unanime, il faut qu’elle se connaisse le champion de Dieu, le chevalier de la justice. Il nous faut être persuadés que nous luttons contre les Barbares, Islam jadis, aujourd’hui Pangermanisme, ou contre les despotes, militarisme prussien et impérialisme allemand.

Les Français défendant la France ont cru presque toujours lutter et souffrir pour que l’humanité fût plus belle. Ils se battent pour leur terre pleine de tombeaux et pour le ciel où règne le Christ, où flottent du moins leurs idées. Ils meurent pour la France, autant que les fins françaises peuvent être identifiées aux fins de Dieu ou bien aux lins de l’humanité. Et c’est ainsi qu’ils font la guerre avec des sentimens de martyrs.

Voulez-vous entendre un grand texte, voulez-vous savoir comment on décidait nos aïeux, il y a neuf siècles, à partir pour la Croisade ? Vous apprendrez en même temps comment nos soldats, aujourd’hui encore, ont besoin qu’on les harangue. Ecoutez, c’est le pape Urbain II (un homme de France, ne en Champagne) qui prêche au Concile de Clermont en Auvergne. Il dit : « Nation des Français, nation élue de Dieu, comme le montrent tes œuvres, et chère à Dieu, et qui te distingues entre toutes les autres par ton dévouement à la sainte foi et à l’Eglise, c’est vers toi que va notre parole et notre exhortation…

  1. La Chanson de Roland. — L’archevêque Turpin, avant la bataille, à l’armée agenouillée.