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myrrhe. La nuit est douce et sereine. Debout auprès de son fils mort, le comte pleure, il ne peut s’en rassasier. Au matin, il attendit que le soleil fût haut levé et brillât bien clair. Alors il renoua les lacs rompus de son heaume, embrassa Vivien, le regarda une dernière fois ;… il se remit en selle ; s’achemina à petits pas vers la route que tenaient les Sarrasins, puis venu à la portée d’un arc, il cria son cri d’armes, et, baissant sa lance de frêne, il chargea.

Debout les morts !… ce cri mystérieux du Bois d’Ailly, déjà nous l’avons entendu. Au siège d’Ascalon, les Templiers voient plusieurs de leurs frères pendus par les Sarrasins sur la porte de la cité. Ils sont pris de découragement, ils veulent lever le siège. Mais le maître du Temple leur dit : « Voyez, les morts nous appellent, car déjà ils ont pris la ville. »


On pourrait multiplier à l’infini ces rapprochemens, ces images de la plus jeune France et de la France d’aujourd’hui que l’on disait vieillie, et comme les peintres verriers de nos cathédrales ont souvent juxtaposé les figures de l’ancienne loi en regard de la nouvelle, ici Jonas et la baleine, là le Christ et le tombeau, ici Moïse et le buisson ardent, là la Vierge et la crèche, je pourrais disposer ces notes indéfiniment suivant le même procédé de symétrie pour mettre en relief la ressemblance des petits-fils et des aïeux, et plus profondément la concordance de toutes nos guerres et de la grande guerre.

Le zouave de 1914 qui, du milieu d’un groupe de prisonniers derrière lesquels les Allemands s’abritent, crie aux Français : « Mais tirez donc ! » et qui meurt sous leurs balles, nous le connaissions déjà : il y a neuf siècles, les Sarrasins firent monter aux créneaux d’Antioche un croisé prisonnier pour qu’il demandât à ses frères de renoncer à l’assaut. Mais il leur cria d’attaquer. Les Sarrasins lui tranchèrent la tête. Etienne de Bourbon ajoute que la tête, lancée du haut des murs par une baliste, et venue aux mains des chrétiens, riait de joie.

Entre les deux, le chevalier d’Assas.

Le jeune soldat défiguré qui dit : « Si mon père me voyait ! Bah ! Il ne m’a pas fait pour être beau ; il m’a fait pour être brave… » met visiblement à tenir ce propos la même fierté que Montluc à dénombrer ses « sept arquebousades » dont la plus