Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 34.djvu/491

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

C’est bien la pensée qu’exprime fortement l’un d’eux, Georges Bosredon, Saint-Cyrien de vingt ans, quand il écrit à sa sœur :

« N’en dis rien à papa et à maman. Mais, partant officier, j’ai bien peu de chances d’en revenir. Je le sais, et j’ai dès maintenant fait de grand cœur le sacrifice de ma vie… Nous allons arriver jeunes, sans grande valeur, pour commander des hommes entraînés et de vieux soldats déjà. Pour les faire marcher, il faudra payer de notre personne, et nous paierons. »

Généreux jeune homme, qui ne dit rien des fautes commises avant qu’il fût en âge, et qui, nouveau venu, trouve tout naturel de payer de sa vie la victoire !


Et dans toutes nos grandes écoles, dans tous nos collèges, les jeunes gens sont les frères de ces jeunes chefs militaires. Pour eux, une seule chose compte : le besoin que la France ne soit plus une vaincue. Ils sont les jeunes, les purs, les régénérateurs, les hosties de la patrie. Ils accepteront tout pour être dignes de leurs aïeux, pour remplir leur destin et racheter la France.

Les professeurs dans les collèges ne s’y trompaient pas. Depuis quelques années, ils voyaient apparaître « une génération au clair regard, à la démarche assurée, au cœur sans crainte. » La destinée préparait à la France des sauveurs. « D’où sort la France du 2 août ? s’écrie un maître du lycée Janson-de-Sailly[1]. De quarante années courbées sous la menace de l’Allemagne. C’est une douleur, une longue humiliation qui explosent enfin en espérances. »

Voilà nos jeunes gens. Mais la guerre a réuni à l’armée toute la nation mâle de dix-huit à quarante-huit ans.

Évidemment, un quadragénaire ne part pas avec cette ivresse de bonheur que nous venons de voir chez nos Saint-Cyriens. Il n’éprouve plus « ce coupable amour du danger » que Tolstoï, causant avec Déroulède, sur le tard de sa vie, s’accusait d’avoir, lui aussi, connu dans sa jeunesse. C’est le refroidissement du sang, c’est aussi l’ouverture d’un nouvel horizon. En fondant un foyer, le jeune homme d’hier a assumé

  1. M. S. Rocheblave.