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façon élégante de couper court à des bavardages de salon. Les choses ne sont pas si simples dans la réalité. On a beau faire et beau dire, nous ne pouvons pas laisser le Pape tranquille. Nous avons besoin de lui. Même chez nous, ceux qui répugnent le plus à engager, avec lui, l’entretien, seront forcés de l’aller chercher dans son Vatican. Au jour des règlemens de comptes, nous ne pouvons pas nous passer de son concours, si nous voulons résoudre, sans trop de désavantage, certaines questions de politique extérieure et, par exemple, la question toujours pendante du Protectorat français en Orient. Si nous y renoncions, ce ne pourrait être qu’au détriment de nos intérêts. Nous y perdrions toute une clientèle plusieurs fois séculaire, qui ne demande qu’à se rattacher plus étroitement à notre pays, peut-être même la possibilité de nouvelles acquisitions territoriales, en tout cas notre prestige de grande Puissance protectrice aux yeux du monde musulman. Mais, d’une façon générale, — bien que sa mission ait un caractère avant tout spirituel, — le Pontife romain est toujours obligé d’intervenir en faveur des intérêts matériels de l’Eglise, lesquels dépendent, en grande partie, des nations belligérantes. Alors commencent, pour lui, d’inextricables, de torturantes difficultés. Essayons plutôt de nous en rendre compte !

Que les circonstances actuelles, encore si troubles, si indécises, lui imposent une extrême réserve, c’est ce que tout le monde admettra. Ses préférences personnelles doivent rester, pour l’instant, impénétrables. En attendant, il ne peut qu’accorder aux victimes de cette horrible lutte des paroles de compassion et d’amour, s’interposer, s’il se peut, pour diminuer l’atrocité des méthodes de guerre, pour adoucir le sort des prisonniers et des blessés. Nous savons qu’il s’en occupe avec un zèle inlassable. Ce grand devoir accompli, peut-il aller au-delà ?

Après beaucoup de Français, j’ai pu franchir, moi aussi, le seuil des appartenions pontificaux. Le Saint-Père a bien voulu m’accueillir avec la plus flatteuse et la plus cordiale bonté. L’impression dominante que j’ai rapportée de cet entretien, c’est celle de l’angoisse perpétuelle où vit ce pasteur d’hommes. On sent qu’il assiste muet à un conflit terrible, où non seulement les intérêts matériels, mais les principes essentiels du christianisme sont engagés ; — et qu’il se désespère, et qu’il souffre