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— Vous allez vous faire tuer, mon lieutenant ! dit un caporal.

— En avant ! crie le jeune homme.

Ses hommes le suivent, électrisés ; quelques instans plus tard, une balle le frappe en plein front, juste au-dessous du plumet.

Le même jour, 22 août 1914, Jean Allard-Méeus, le poète des Montmirail, tombe frappé de deux balles.

Gaston Voizard, celui qui eut l’idée du serment, leur survécut de quelques mois seulement. Il semble s’en excuser dans la lettre charmante et déchirante que voici :


25 décembre 1914.

« Il est minuit, mademoiselle et amie, et, pour vous écrire, j’enlève à l’instant mes gants blancs (oh ! n’admirez pas, le geste n’a rien d’héroïque ; mes derniers gants de couleur sont aux mains d’un pauvre pioupiou qui a froid). Je cherche en vain les mots qu’il faudrait pour vous dire la joie et l’émotion que m’a causées votre lettre arrivée le soir d’un bombardement terrible du pauvre village que nous occupons. Cette lettre fut reçue là comme un baume contre tous les énervemens et les malédictions possibles. Cette lettre lue, le soir, — j’en demande pardon à votre modestie ! — aux officiers de mon bataillon, réconforta les plus abattus, après cette rude journée, et prouva à tous que le cœur des jeunes filles de France est tout simplement admirable de générosité.

« Donc, il est minuit. L’honneur et le bonheur que j’ai de commander ma compagnie depuis huit jours (mon capitaine ayant été blessé) me valent le plaisir de vous écrire à cette heure, de la tranchée où, par des prodiges d’astuce, j’ai réussi à allumer une bougie, sans que soit éveillée l’attention de ces messieurs d’en face. Ils sont d’ailleurs à une centaine de mètres.

« Mes hommes, en sourdine, entonnent le traditionnel : Il est né, le divin enfant. Le ciel luit d’étoiles. On voudrait rire de tout cela… et on est tout près d’en pleurer !

« Pour moi, je pense aux Noëls d’antan, passés en famille ; je pense à l’effort gigantesque à fournir encore, au peu de chance que j’ai d’en sortir vivant : je pense, enfin, que je vis peut-être en cette minute mon dernier Noël…