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Les enfans, les femmes, les vieillards se dressent autour du soldat, l’accompagnent jusqu’au train… C’est le départ, non pas tel que Rude l’a sculpté dans le coup de vent de la Marseillaise, mais un départ plus tragique encore, les dents serrées : « Puisqu’ils le veulent, il faut en finir ! »

C’est le départ. Nous ne pouvons pas être à la fois dans toutes les gares de Paris et de toutes nos villes, sur tous les quais d’embarquement, ni sur tous ces bateaux qui ramènent de l’étranger les Français. Voulez-vous que nous allions au cœur même de la France militaire, dans cette Ecole de Saint-Cyr, où se forment les jeunes officiers ?

Chaque année, à Saint-Cyr, a lieu en grande pompe la fête du Triomphe. On nomme ainsi une cérémonie traditionnelle où la promotion sortant, c’est-à-dire les jeunes gens qui viennent de passer deux ans à l’Ecole, baptisent la promotion qui les suit et donnent un nom à leurs cadets.

En juillet 1914, cette cérémonie coïncida avec les événemens qui, en se précipitant, déterminèrent la guerre, et par-là elle devait prendre un caractère plus grave. Le 31 du mois, le général commandant l’Ecole fit savoir aux Montmirail (c’était le nom des aînés) qu’ils eussent à baptiser leurs cadets, le soir même, militairement et sans les réjouissances traditionnelles.

Tous comprirent qu’ils allaient avoir peut-être dans la nuit à gagner leurs régi mens respectifs.

Ecoutez un jeune poète de la promotion de Montmirail, Jean Allard-Méeus, raconter à sa mère cette soirée déjà devenue légendaire chez nous : « Après le dîner, prise d’armes devant le capitaine et le lieutenant de garde, seuls officiers autorisés à assister à cette cérémonie intime. Belle soirée ; dans l’air, des parfums oppressés. L’ordre le plus parfait et le silence le plus grand. Les officiers de Montmirail avec le sabre, les « hommes » avec le fusil. Les deux promotions se massent sur le grand terrain, sous le commandement du major de la promotion. Discours patriotiques fort bien ; puis, au milieu de l’émotion grandissante, j’ai dit :


DEMAIN

Soldats de notre illustre race,
Donnez, vos souvenirs sont beaux !
Le temps n’efface pas la trace
Des noms fameux sur les tombeaux.