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traversées. Et semblablement aussi, dans les deux témoignages, une odeur saisissante de simple et loyale franchise documentaire ; de telle sorte que, pour ce qui est de la brochure anglaise, en particulier, pas un lecteur ne saurait mettre en doute l’entière bonne foi de M. Arthur Green quand il nous déclare, par manière de préface :


Mon frère Syd m’a demandé d’écrire un court récit de ma vie pendant la guerre, car il m’est arrivé d’être l’ait prisonnier, et d’avoir à passer plus d’un an et demi dans des camps d’Allemagne. J’espère seulement que mes amis qui liront les pages suivantes voudront bien excuser les fautes de mon style. Naturellement, je ne suis pas un homme de lettres ; et donc, que si mon histoire ne vous parait pas intéressante, vous n’aurez simplement qu’à refermer le livre. Du moins y a-t-il une chose que je puis jurer sous parole d’honneur : c’est que tout ce que j’ai écrit est strictement vrai…


Mais combien avec cela, par-dessous toutes ces ressemblances entre les deux récits, combien il s’en faut que celui du prisonnier anglais nous laisse au cœur l’ « impression consolante » qui ressortait pour nous des sombres souvenirs du forçat sibérien ! Trop heureux de s’être désormais réveillé du cauchemar qu’avait été pour lui, jusqu’à ces temps derniers, sa « vie pendant la guerre, » — car il avait été fait prisonnier dès le mois d’août 1914, et c’est seulement voilà six mois que sa qualité de « grand blessé » lui a enfin valu d’être rapatrié, — M. Arthur Green a beau nous raconter presque en souriant ses propres souffrances et celles de ses compagnons d’infortune ; il a beau éprouver même, semble-t-il, un penchant naturel à regarder, lui aussi, toutes les manifestations du vice et du crime comme autant d’effets inévitables de la faiblesse humaine, sans que jamais le spectacle de la fourberie ou de la cruauté allemandes provoque chez lui d’autre geste qu’un rapide haussement d’épaule : c’est pourtant chose, certaine qu’à tout moment ce spectacle, tel qu’il nous le transmet, vient raviver en nous un mélange infiniment pénible de stupeur effarée et de profond dégoût. Vainement nous essayons, à notre tour, de nous accoutumer à l’acceptation « philosophique » de l’état d’esprit que nous révèle de page en page, dans sa brochure, la conduite des soldats et du public allemands envers d’inoffensifs prisonniers mutilés : toujours encore nous sommes tentés de ne voir là d’abord que des exceptions, des « cas » anormaux et monstrueux, incapables de nous traduire toute l’âme d’une grande race européenne. Et lorsque ensuite nous nous rappelons d’autres pointures non moins authentiques de la même barbarie, lorsque aux bourreaux allemands de Wittemberg nous accouplons les massacreurs