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mois terribles et grands que nous venons de vivre, s’il avait vu les premières défaites supportées sans défaillance et connu l’orgueil de la première victoire, il aurait constaté à la fois la réalité et l’excès des inquiétudes que lui donnait, il y a quelque douze ans, l’attitude nationale. Il se serait réjoui de découvrir que « les marchands d’emphase » n’avaient pas encore détruit en nous le ressort d’énergie, que leurs proclamations n’avaient été si sonores que pour avoir retenti dans le creux des controverses abstraites, non dans le milieu plus dense des instincts et des affections.

Il aurait sans doute déploré de voir une de ses craintes confirmée, la patrie envahie qui eût pu ne pas l’être, la ruine de maint chef-d’œuvre qu’il eût voulu entouré d’une muraille d’airain ; mais, en revanche, quel réconfort de constater que le mal de l’anarchie n’avait jamais entamé plus que l’écorce, que l’union des cœurs n’avait pas été brisée en tronçons impossibles à réunir, que l’esprit de sacrifice sommeillait seulement, que la conscience nationale pouvait encore se refaire, arrêter la horde innombrable et préparer à force de patience tenace la victoire définitive !


EMILE LEGOUIS.