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Un homme qui connaît l’âme et le caractère,
L’obscur entêtement, la fougue passagère
Des peuples, et prévoit ce qu’ils peuvent d’effort,
Les uns jusqu’aux revers, d’autres jusqu’à la mort ;
Un homme aux sûrs regards, minutieux et vastes,
Qui domine les jours glorieux ou néfastes,
Calme dans les succès, calme dans les reculs,
Jetant tous les hasards dans de nouveaux calculs,
Et brisant ces calculs dans des coups de génie
Dont l’éclair les dissipe ou bien les remanie ;
Un chef tel qu’il ait droit d’imposer des hauts faits !…


Et si c’est à quelque chant de Tyrtée que faisait allusion le guerrier grec, quand il décrivait l’effet d’une musique de marche, il se trouve du même coup avoir dit mieux que personne la puissance magique et redevenue toute neuve de cette Marseillaise qui paraissait ternie par plus de cent années d’usage. Quels mots en ont su jamais analyser ainsi et transfigurer l’effet ?


Comme on suit un cortège ardent, quand l’air est ivre
D’hymnes, de chants de lyre et d’appels de buccins,
Et qu’un choral puissant, jailli de tous les seins,
S’élevant triomphal, sur les fronts, comme une arche,
Proclame la grandeur du Dieu vers qui l’on marche,
Au flot d’enthousiasme on se jette entraîné,
Poussant l’élan commun au temple deviné
Et recevant le Dieu dans le chant qui l’adore…


C’est ainsi que ce poème qui porte le costume antique, qui est avant tout une argumentation, qui fut écrit dans des jours déjà lointains où la France semblait déchue de son énergie et n’était pas encore dégrisée de l’opium que lui avaient versé tant de mains imprudentes, — ce poème d’un homme qui ne devait pas vivre jusqu’à la guerre actuelle, qui n’eut pas la douleur d’en connaître les maux infinis, à qui fut refusée la joie plus grande encore d’y voir le relèvement souhaité, — ce poème est peut-être encore aujourd’hui celui qui exprime le mieux les sentimens profonds de la patrie. Il n’exalte pas la guerre à la façon germanique, la guerre déchaînée pour le déploiement de la force, le lucre et la conquête ; il glorifie la guerre telle que la fait présentement la France, guerre de sauvegarde et de nécessité. Il demeure l’un des meilleurs toniques, le plus approprié