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Alors, quand ni les corps, ni les cœurs, ni l’État,
Quand rien n’existe plus, alors vient l’attentat !
Alors vient le tonnerre et l’heure expiatrice,
Car il faut qu’un destin préparé s’accomplisse !
Alors, l’âpre voisin, le Barbare surgit,
Le premier incendie à l’horizon rougit,
Et sur ce vain troupeau tout effaré d’alarmes,
Qui ne sait plus comment on ajuste des armes,
Qui s’agite et se cherche en tumultes épars,
Et par momens s’arrête avec des yeux hagards, —
Comme des sangliers qui saccagent des seigles,
Des légions aux rangs serrés autour des aigles,
Ou de noirs escadrons aux galops écrasans,
Passent, — et c’en est fait d’un peuple pour longtemps !


Tableau trop noir pour convenir à la France de la guerre présente, même en ses heures les plus sombres. Car cela était écrit en 1902, avant cette reprise de l’énergie nationale que provoquèrent les incidens du Maroc, avant ces premiers essais de concorde patriotique, qui préparèrent les voies à la grande unanimité des jours de la déclaration de guerre et de la mobilisation générale. Mais, tout de même, ces sursauts devaient être trop tardifs pour réfuter entièrement la terrible prophétie. Le pays fut sauvé, mais non, hélas ! sans être envahi, sans qu’une partie de son territoire fût dévastée.

Cependant les dialogues d’Angellier renferment d’autres pages où il y a un plaisir moins amer à se reporter et qui préfigurent quelques-uns des aspects héroïques ou glorieux que la France a revêtus au cours de la lutte. Il y aurait, certes, un peu de puérilité à y chercher par avance une description littérale d’événemens que le poète n’a pu connaître. Mais il se trouve que son talent massif et rude l’a bien servi pour rendre l’énormité des chocs que nous avons vus depuis. On entend dans les longs mouvemens d’éloquence, dans le déroulement vaste des argumens, comme le bruit de masses innombrables. Les armées y semblent faire sonner leurs pas et rouler le tonnerre de leurs chariots. Par une fortune singulière, le travesti grec du poème, qui devait l’éloigner de la réalité contemporaine, l’y ramène dans un symbolisme transparent. Il met en belle lumière le rôle de la France luttant pour la civilisation contre de nouveaux barbares. Ce n’est assurément pas pour avoir lu les vers d’Angellier que la New York Tribune, à la date du