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C’est pourquoi, au lieu de tous ces vers délicats, il se décidait à faire présent à la dame américaine des Chants du soldat de Déroulède :


Veuillez donc, Madame, accepter ce livre
Vivant et français, qu’on porte en son sac,
Qu’on chante en marchant, qu’on lit au bivouac
Et qui dit pourquoi se venger c’est vivre ;

Digne qu’un soldat fasse une cartouche
De chaque feuillet, un jour de combat,
Et que ses refrains, pendant qu’on se bat,
Comme des clairons soient sur chaque bouche.


Vingt-sept ans devaient s’écouler avant que cette veine guerrière reparût dans l’œuvre d’Angellier. Elle était toujours là, mais, cachée au fond de lui, elle n’affleurait plus. A mesure qu’il avançait dans la vie, il avait pu voir les espoirs et les ardeurs de revanche des années qui avaient suivi 1870 faire place chez beaucoup de ses compatriotes à un autre rêve grandissant : celui d’une paix européenne définitive dont la France serait la principale ouvrière.

Il frémissait à l’idée du danger où courait, les yeux clos, sa patrie illusionnée ; il la voyait travaillant à briser ses propres armes, en gage de volonté pacifique, dans un monde où régnaient toujours, où régneraient pendant des siècles encore la force et l’envie. Contre les prophètes de la paix universelle et les apôtres du désarmement, il lança son cri d’alarme.

C’était en 1902. À cette époque, Angellier transposait ses méditations et ses tableaux « dans la lumière antique. » Il leur ôtait ainsi la vulgarité de l’heure trop proche, leur donnait par le recul une noblesse harmonieuse. Il avait donc transporté le grand débat dans la Grèce ancienne, mère des héros et des philosophes. Il avait imaginé, au lendemain d’une ruée de barbares arrêtés et vaincus par la vaillance des soldats hellènes, le dialogue du jeune stratège victorieux et d’un vieillard, d’un sage, qui a l’horreur de la guerre et le mépris de la victoire. Doux rêveur, le Vieillard esquisse sa vision d’un avenir où les temples élevés aux dieux des tueries auront disparu, où chaque homme aura dressé en lui-même « un invisible autel à la