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dans les deux ou trois mille vers dont Auguste Angellier forma ses deux dialogues du Vieillard et du Guerrier.

L’apparition de ce poème martial, dur et rude, avait d’abord dérouté les fervens des sonnets d’amour A l’Amie perdue et des vives chansons du Chemin des Saisons. De tels accens surprenaient chez celui qui semblait absorbé par le pathétique de la passion intime ou par les spectacles de la nature. Mais c’était en réalité le résultat de longues réflexions amassées au cœur d’un patriote dont les vingt ans avaient été témoins et acteurs dans le drame de l’Année terrible, et qui dès lors avait gardé saignante la blessure de la défaite, passant par des alternatives d’espoir et de colère, selon qu’il voyait la France s’approcher ou s’éloigner du relèvement rêvé pour elle. Engagé par sa carrière dans la littérature, il y portait le dédain du dilettantisme, la préférence pour l’action. En 1875, il répondait à une dame américaine qui lui avait envoyé les œuvres de ses poètes nationaux. préférés, en lui envoyant à son tour des vers de France. Lesquels choisirait-il ?


Nous avons aussi maints nouveaux poètes :
Gautier, dahlia brillant et royal ;
De Lisle, éclatant lotus tropical ;
Banville, muguet aux blanches clochettes ;

Et puis Baudelaire, aloès pesant,
A la fleur pourprée, à la tige aiguë ;
Et Coppée aussi, feuille de laitue
Sur laquelle un soir vint un ver luisant ;

Millien, bourgeon blanc et rose de pomme,
Et le lys penché de Sully Prudhomme…


Mais il écartait ces raffinés délibérément. Tous ceux-là avaient le tort de n’être que des artistes à une époque où il fallait des artisans :


Pas un ne travaille et pas un ne lutte,
Beaucoup de bouquets, pas un grain de blé !

Nous ne voulons plus de ces fleurs fripées,
Nous voulons le fer qui fait les épées,
Et le cuivre ardent qui fait les clairons.

A ceux d’à présent il faut pour chansons
Les métaux frappés, et pour mélopées
Celles des soldats et des forgerons.