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compagnies du génie, artilleurs de la Lourde et personnel des ambulances. Tout ce monde vit comme en villégiature, papote, s’agite et travaille, gêne et enrichit les habitans. Les moindres réduits sont catalogués chambres, et la plus mauvaise paillasse isolée entre quatre murs est cédée au plus offrant et dernier enchérisseur. Ainsi, dans les localités urbaines et rurales, les « civils » sont en camp-volant, tout secoués par la fièvre de l’attente et du gain, et la vie communale n’est plus qu’à l’état de souvenir.

L’autorité militaire y pourvoit de son mieux, secondée par les débris des conseils municipaux. Elle réglemente la voirie, multiplie les abreuvoirs, les lavoirs et les fontaines ; elle répartit les caves qui sont les meilleurs abris contre les bombarde-mens, distribue des masques protecteurs contre les émissions de gaz, fournit des vivres, procure des travailleurs. Elle réagit contre le gaspillage en improvisant des garde-meubles où s’entassent les richesses des indigènes qui se sont expatriés. Mais la vigilance utilitaire des majors de garnison ne s’étend pas au-delà des limites de la commune ou du cantonnement. J’ai rarement vu employer ou démonter et transporter hors de la zone des obus les outillages complets d’usines, les réserves de matières premières, les stocks de produits ouvrés que les industriels et les commerçans chassés par l’invasion laissaient à la garde de Dieu et de nos armées.

Ils retrouveront tout cela, comme les grands propriétaires terriens retrouveront leurs machines et leurs granges, comme les habitans pauvres ou non qui se sont éloignés des coups retrouveront leurs maisons et leurs mobiliers, si les fureurs des batailles prochaines ne ravagent pas celles des régions du front qui n’ont pas jusqu’à présent trop souffert de la guerre. Mais partout ailleurs il faudra du temps, des sommes immenses, un labeur acharné, le cordial accord de tous, pour rebâtir villes et villages, pour niveler les champs bouleversés, pour rendre sa fertilité à la terre brûlée par les obus percutans. Que de ressources ne trouvera-t-on pas, alors, dans les barrières édifiées par nos labeurs de fourmis, si l’Etat donne aux communes réorganisées les matériaux enfouis dans les positions de défense qui sillonnent leurs territoires !

L’ardeur ne manquera pas aux exilés d’aujourd’hui pour refaire leurs petites patries plus belles qu’autrefois. Ils ne sont