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il s’arrête devant la digue établie alors par l’adversaire pour arrêter l’inondation.

Ainsi, pendant quelques heures, quelques jours, ou même quelques semaines, selon la ténacité ou les espérances de leurs chefs, les ressorts moraux des combattans sont tendus à la limite de leur puissance. Et cette limite s’éloigne encore quand les intéressés croient l’avoir atteinte, car « une âme vigoureuse est maîtresse du corps qu’elle anime. » La beauté de tel acte, où l’observateur croit apercevoir l’ultime fond de l’héroïsme ou du sacrifice, est éclipsée aussitôt par un acte accompli tout proche, que la raison ne peut comprendre et que l’imagination la plus riche n’aurait su concevoir. La fièvre de la bataille, l’ambition, ou l’aveugle témérité, ne suffisent pas à tout expliquer, car l’intelligence froide, la charité ou la camaraderie consciente, le sentiment du devoir, inspirent les combattans autant que l’amour de la gloire, le désir de représailles ou la férocité en sommeil dans le cœur humain. Sans doute ces vertus, quoi qu’en ait dit Moltke l’Ancien, n’ont pas besoin de la guerre pour se manifester ; on en trouve assez d’exemples dans les discours académiques sur l’attribution des prix Montyon, comme dans les Annales de la Propagation de la foi. Mais la guerre leur permet d’exercer une influence salutaire par la publicité des ordres du jour, moins efficace d’ailleurs que l’anonymat de la vie en commun où les extrêmes se coudoient. Les philosophes peuvent à bon droit flétrir les passions exacerbées que la violence belliqueuse développe ; mais pour être justes, tout en condamnant les excès et les crimes, ils ne doivent pas oublier de mettre dans la balance les splendeurs morales que cette violence fait fleurir au grand jour et qui réhabilitent l’humanité.

Pendant ces longues crises que sont les batailles contemporaines, l’acharnement de l’attaque et de la résistance est sans bornes. Dans les deux partis, le mépris de la vie s’affirme avec fureur. Cependant, les assaillans qui s’efforcent de pratiquer la générosité chevaleresque sont souvent plus habiles que les partisans de la lutte sans merci. Outre que la violence inutile souillera la gloire du vainqueur, elle prolonge les résistances en obligeant à combattre jusqu’à la mort des ennemis que le sentiment de leur impuissance rendrait moins intraitables, si leur désir de survivre à une défaite honorable était exaucé. Il suffit parfois de quelques hommes que la crainte d’une fin certaine