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se fixent, les ballonnets qui volent, les bruits insolites de ferrailles ou de terrassemens signalés par les observateurs. Cependant, même au contact, il est parfois possible de déjouer les projets éventés de l’adversaire, en les traitant par la méthode préventive ; mais la complicité du vent est indispensable, et chacun sait que le vent est un allié peu sur. En prenant les précautions d’usage, un tir à démolir, exécuté au moindre indice, bouleverse les travaux préparatoires et endommage le matériel. L’ennemi comprend qu’il est deviné, et tente l’aventure ailleurs.

A cent ou deux cents mètres de ses tranchées, gaz et flammes sont pratiquement inoffensifs. Les flammenwerfer sont hors de portée ; les guetteurs signalent dès son début l’émission des gaz et l’on a le temps de s’affubler du masque. La tranquillité morale qui en résulte paraît à beaucoup de chefs être assez précieuse pour justifier le sacrifice des avantages du contact. Il y en a d’autres en échange. Ce sont, par exemple, la suppression de la guerre de mines, car les sapeurs les plus fanatiques n’ont pas encore pensé à pousser aussi loin leurs galeries et leurs rameaux ; la solidité des défenses accessoires qui rend impossibles les coups de main, puisque l’ennemi devra, pour les détruire, faire une préparation d’artillerie qui dénoncera ses projets. Mais en préservant ses propres tranchées contre les explosions de mines, on se prive du plaisir de faire sauter celles de l’adversaire ; si l’on a de bons réseaux, les siens ne seront pas moins forts. Des deux côtés il faut donc rivaliser d’ingéniosité, afin de se nuire le plus possible à distance.

Pour les spécialistes de la torpille, du fusil à grenades, du tuyau de poêle, du tir indirect par mitrailleuses ; pour les agens de liaison d’artillerie, pour les anciens braconniers ou amateurs de la chasse à l’affût, les heures de jour et de nuit ne s’écoulent plus dans leur ordre normal. Le danger rôde sans cesse ; il n’est jamais aussi proche que lorsqu’on le croit éloigné. C’est « une bande » ou « un fusant » sur des travailleurs qui se confiaient à la pluie torrentielle, au brouillard, au silence tardif et prolongé pour accomplir en terrain découvert quelque besogne urgente ; c’est la torpille ou le tuyau de poêle ou la grenade à fusil qui décrivent leurs courbes par séries défiant toutes les martingales et qui tombent là où ils ne sont pas attendus ; c’est un percutant qui s’abat au loin sur le boyau